Le Visiteur : Rencontre au sommet
Beaucoup de belles choses ont été écrites à propos de la production Le Visiteur, montée par le Théâtre les gens d’en bas. Cette pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, le plus grand succès de l’histoire de la troupe, n’a récolté que des éloges…
Beaucoup de belles choses ont été écrites à propos de la production Le Visiteur, montée par le Théâtre les gens d’en bas. Cette pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, le plus grand succès de l’histoire de la troupe, n’a récolté que des éloges lors de sa présentation à Rimouski, durant l’été 1998, puis à Québec, il y a un an. C’est donc précédée d’une rumeur favorable que cette fable métaphysique mise en scène par Françoise Faucher prend l’affiche du Gesù. Et parions que les Montréalais qui se passionnent pour "l’affaire Michaud" et défendent le caractère unique de la Shoah trouveront un grand intérêt à ce duel verbal entre Dieu et l’une de ses créatures, Sigmund Freud, s’apprêtant à fuir la tyrannie nazie…
Au crépuscule de sa vie, Freud (Jean-Louis Roux) ne souhaite qu’une chose: passer les derniers instants de son existence chez lui, à Vienne. Mais les nazis en ont décidé autrement. En 1938, les juifs ont avantage à fuir l’Autriche, s’ils ne veulent pas être arrêtés, puis déportés vers un camp. Un soir d’avril, tandis que sa fille Anna (Anne Bryan) vient d’être amenée pour un interrogatoire par un agent de la Gestapo (Frédéric Desager, lauréat d’un Masque pour ce rôle), Freud reçoit la visite d’un inconnu (Emmanuel Bilodeau), qui affirme être Dieu. L’est-il vraiment? Le mystère plane mais Freud aimerait bien y croire, lui qui se dit pourtant agnostique… Les deux hommes régleront leurs comptes, le père de la psychanalyse reprochant au Tout-Puissant les atrocités commises envers les juifs, les tziganes et les homosexuels; et Dieu rétorquant que Freud a contribué à la perte de sens à l’origine des pires cruautés en affirmant que l’Homme ne devait croire qu’en l’Homme.
Ça peut avoir l’air dramatique ainsi raconté, mais Le Visiteur n’a rien d’assommant: il s’agit d’une comédie à haute teneur intellectuelle, drôle et fine. On sourit toujours durant ce duel verbal entre le scientifique (Freud) et la métaphysique (Dieu). C’est le genre d’oeuvre pleine d’esprit, aux gags bien tournés, devant laquelle on se sent intelligent… Outre ses répliques désopilantes, la pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt offre des moments émouvants, comme celui où Dieu raconte un déchirant souvenir d’enfance de Freud.
Les quatre comédiens dirigés par Françoise Faucher sont irréprochables. Anne Bryan campe une jeune Anna au caractère bouillant, qui ne tolère pas les insultes du soldat qui fait irruption chez elle. Dans la peau de ce dernier, Frédéric Desager est inquiétant à souhait. Avec son accent germanique, ses manières méprisantes et sa conviction que les juifs sont responsables de tous les malheurs, dont son célibat et son manque d’éducation, il est le parfait petit pion nazi. Mais les plus impressionnants sont les deux comédiens principaux. Emmanuel Bilodeau incarne un Dieu cabotin et sensible, au sourire angélique. De son côté, Jean-Louis Roux met son expérience au service d’un rôle qui lui va comme un gant. En plus de la ressemblance physique, il a l’élégance, la fragilité et la verve qu’il faut pour donner vie aux mots de Schmitt. On croirait, à le voir, que ce rôle a été écrit pour lui…
Jusqu’au 10 février
À la Salle du Gesù