Mesure pour mesure : Pour le meilleur et pour Shakespeare
Nouvelles recrues de la scène théâtrale, SOPHIE MARTIN (CADQ 2000) et THIERRY DUBÉ (CADQ 1999) prennent d’assaut, avec un visible enthousiasme, la scène du Trident. Au menu, deux des principaux personnages d’une pièce jouée pour la première fois en français au Québec: Mesure pour mesure, leur premier Shakespeare…
"Jouer au Trident, c’est un beau défi!" s’exclame Sophie Martin. "C’est emballant, mais c’est sûr que ça amène aussi son lot d’insécurité, de pression", ajoute Thierry Dubé. Après Les exercices de conversation et de diction françaises pour étudiants américains en décembre pour l’une, Un oeuf dans la cité au printemps dernier pour l’autre, le passage d’une petite à une grande scène – "ça a quand même 60 pieds de large, cette scène-là!" précise Thierry – se fait avec fébrilité, certes, mais aussi avec confiance. "On est très bien entourés, commente Sophie. De gens expérimentés, de gens qu’on admire, aussi. On ne pouvait pas mieux espérer, vraiment."
Dans cette comédie aux accents tragiques créée en 1604, ils incarnent deux personnages qui, du haut de leurs principes, seront confrontés à la complexité de la vie réelle, où tout est rarement blanc ou noir. Sophie Martin incarne Isabelle, une jeune fille pure et intègre. "Isabelle se prépare à entrer au couvent parce qu’elle est en désaccord avec la société corrompue dans laquelle elle évolue. Elle devra plaider pour sauver la vie de son frère, puni justement pour quelque chose qu’elle abhorre… Tout au long de la pièce, elle est confrontée à elle-même: à ce qu’elle désire, à ce qu’elle est."
"Angelo, expose Thierry Dubé, est un peu le pendant du personnage d’Isabelle: lui aussi est très intègre, très pur. Il voit toute la corruption qu’il y a dans la ville, et il veut évincer le mal. Là où le bât blesse, c’est qu’à un moment donné viennent le rattraper l’émotion, la chair: il est séduit par la vertu d’Isabelle, qui plaide pour ce qu’elle hait. Et en échange de la grâce de son frère, il exige qu’elle lui sacrifie son honneur. Mais il y a vraiment une lutte intérieure chez ce personnage: succombera-t-il au péché, ou respectera-t-il son idéal de droiture?"
"En fin de compte, ce qui ressort de la pièce, avance la comédienne, c’est l’humain. On a tous des pulsions, malgré la raison, malgré la morale qu’on s’impose." Les deux personnages "vont apprendre à se connaître, et vont être tranformés, à la fin de la pièce" complète Thierry: ils apprendront le pardon et l’humanité.
Shakespeare tisse habilement, dans cette tragicomédie, réflexion morale et bouffonneries. Confrontés à un grave dilemme, les personnages d’Angelo et d’Isabelle incarnent "le versant dramatique de la pièce". Mais "à côté de cette trame, il y a tous les personnages secondaires, qui introduisent plaisanteries et imbroglios, explique Thierry. On passe du drame à la farce grossière; comme spectateur, on peut se retrouver à la fois à rire aux éclats et à être touché par une émotion plus dure en même temps. Ça donne un rythme vraiment intéressant".
Sophie Martin et Thierry Dubé sont tout à leur bonheur: un grand texte, de beaux rôles, et comme metteur en scène, leur ancien directeur, Michel Nadeau. "Avec Michel, apprécie Sophie, on travaille toujours dans la confiance, le respect, dans le plaisir aussi.ª" "Et dans les moments d’angoisse ou d’insécurité, ajoute Thierry, il a un espèce de petit sourire en coin…" "qui dédramatise…", glisse Sophie, "et qui désamorce complètement, poursuit Thierry. Et qui nous rappelle, à un moment donné: c’est juste du théâtre…"