Oleg Kisseliov : Art de vivre
Oleg Kisseliov est le troisième metteur en scène russo-montréalais à porter sur scène une oeuvre romanesque d’un monument littéraire de son pays d’origine.
Le théâtre montréalais profite désormais d’une vaste expertise russe. Après Igor Ovadis et Dostoïevski (Crime et Châtiment), Alexandre Marine et Tchekhov (Salle no 6), Oleg Kisseliov devient le troisième metteur en scène russo-montréalais à porter sur scène une oeuvre romanesque d’un monument littéraire de son pays d’origine. Signataire d’une adaptation très personnelle du Songe d’une nuit d’été, en 1998, Oleg Kisseliov caressait depuis deux ans le rêve de monter au Théâtre Prospero une adaptation de Camera Obscura, le roman de Vladimir Nabokov, avec Gabriel Arcand dans le rôle principal.
Le metteur en scène ne tarit pas d’éloges sur le géant russo-américain des lettres. "Il a établi de nouveaux principes pour la littérature, créé un nouveau système de linguistique, de poésie en prose. C’était un intellectuel incroyable et, en même temps, un être humain très réel. Ses romans sont magiques: on s’imagine tout de suite que ces histoires ont vraiment été vécues par Nabokov lui-même. Mais non! L’inspiration de Nabokov est très profonde. Sa littérature s’adresse à notre essence."
Fable sur l’amour aveugle annonçant Lolita, Camera Obscura dépeint l’obsession d’un riche homme marié (Arcand) pour une jeune fille issue d’un milieu pauvre (Noémie Godin-Vigneau). La belle et son seul amour, Horn (Patrice Savard), exploiteront sans vergogne la crédulité du malheureux. Kisseliov a composé son adaptation à partir de la première version du roman écrit en 1932, la russe, antérieure à la traduction anglaise retravaillée par Nabokov en 1937. Il s’y intéressait surtout à Cheepy (le nouveau venu Daniel Mercille), une créature de bande dessinée inventée par Horn, et devenue ici un personnage caméléon incarnant "la vie du subconscient". "Pour moi, ce qui est intéressant, c’est de voir comment cette image artificielle existe en réalité."
Selon Kisseliov, Camera Obscura expose la rencontre entre un esthète profond, sensible et cultivé, qui a l’habitude de la "beauté artificielle" créée par l’art, avec une jeune femme qui incarne dans la vie réelle son rêve de beauté. "Bruno réagit à cette beauté issue de la vie réelle, et il tombe amoureux, peut-être pour la première fois de sa vie, explique le metteur en scène dans la seconde langue de Nabokov (l’anglais). C’est son drame, parce que la vraie vie est un peu différente de la vie artificielle. Mais je suis sûr qu’il n’y a pas une si grande distance entre la vie et cette nouvelle réalité qu’on peut appeler l’art. Pour les artistes, l’art est plus vrai que la vie elle-même. Parfois, comme tout être normal, comme tout créateur, j’ai des périodes de profonde dépression. Mais si je vois un artiste très talentueux, ou un objet artistique très profond, ça me rend tout de suite heureux. Pour moi, il est très important de communiquer avec des gens talentueux."
Et le talent, c’est un niveau d’énergie plus élevé que la moyenne. Ce qu’on appelle la présence… "En Russie, on dit un cadeau de Dieu. Là-bas, vous n’avez pas le droit d’être très mauvais sur scène. Parce que c’est contre l’idée de Dieu."
Pour le metteur en scène, qui a développé de "nouveaux principes" sur la condition psychologique et physique des comédiens, "l’esprit, le corps, la personnalité des acteurs" devraient être à l’avant-plan au théâtre. Comme au cinéma, où "la personnalité des acteurs est plus importante que leur personnage, que le texte". Oleg Kisseliov envie au septième art sa faculté de créer un espace mental, de donner une impression de réalité.
Avec ses courtes scènes, Camera Obscura a d’ailleurs une dynamique très cinématographique. "Le cinéma et la télé ont créé un nouveau système de relation avec le public, à un niveau subconscient. Le théâtre, qui a inspiré le cinéma il y a 100 ans, a maintenant besoin de l’inspiration du cinéma s’il ne veut pas devenir un outsider d’un véritable art moderne…"
Jusqu’au 17 février
Au Théâtre Prospero