Semaine Marie Chouinard : Un petit quelque chose d’organique
Collaborateurs inattendus, le Grand Théâtre de Québec et la Rotonde invitent la Compagnie Marie Chouinard pour deux spectacles distincts. Au programme: les trois plus récentes oeuvres de cette artiste intense, inspirée par le corps et son souffle.
Le Cri du monde
Si le style profondément organique de Marie Chouinard ne se dément pas au fil des ans, la compagnie a par contre fait peau neuve depuis son dernier passage à Québec, en 1998, lors de la présentation de L’Amande et le Diamant. "L’équipe que j’ai depuis deux ans, c’est une équipe qui est beaucoup plus forte que tous les autres danseurs que j’ai eus, affirme la chorégraphe montréalaise… Ça a beaucoup changé. Ça adonne comme ça. Ça m’a fait créer des pièces beaucoup plus exigeantes. Dans Le Cri du monde, il y a vraiment une virtuosité qui est beaucoup plus développée que dans n’importe quelle autre pièce que j’ai créée avant."
Saluée comme innovatrice, l’étrange gestuelle du Cri du monde, la toute dernière pièce au répertoire, est le fruit d’une étude sur les articulations, "la complexité des angles, la complexité de l’organisation du corps dans l’espace, précise la chorégraphe. Et aussi sur le travail en isolation. Par exemple, de placer le poignet quelque part dans l’espace et de bouger le bras autour."
Marie Chouinard n’est cependant pas femme à s’en tenir à de froids exercices de style puisqu’elle conçoit le corps comme le lieu de l’intelligence, des émotions et de la conscience. Cette fois-ci, la relation entre beauté et douleur l’obsédait. "Comme si, dans une très grande beauté, il y avait une douleur ou comme si, dans une très grande douleur, il y avait une beauté qui surgit à un moment donné. Je pense que c’est pour ça que j’ai appelé ça Le Cri du monde, comme si je pensais à toute la planète au complet et qu’en même temps que toute l’horreur, il y a toute la beauté, puis ça, ça fait un hurlement dans le cosmos."
La musique électroacoustique de Louis Dufort s’est modelée aux exigences de la chorégraphie. Au moyen de voix transformées, le compositeur a conçu une trame particulière qui sait soutenir le rythme de la pièce, un rythme que la chorégraphe qualifie de rapide et fluide.
Les 24 Préludes de Chopin
Quant aux 24 Préludes de Chopin, l’autre oeuvre au programme au Grand Théâtre, elle est issue d’une toute autre démarche. Inspirée par les morceaux de l’opus 28 de Frédéric Chopin, la chorégraphe a transposé la musique en images et en mouvements. Au cours de ces 24 morceaux, la douzaine de danseurs défilent à tour de rôle, en solo, en duo ou en trio. \"Ce sont vraiment de petits clips chorégraphiques et musicaux", dit-elle.
On pourrait s’étonner qu’une artiste aussi peu conventionnelle soit attirée par Chopin, un compositeur considéré comme romantique. À tort, selon elle. "Non. C’est cru, c’est vital, c’est violent. C’est une musique comme un rayon laser. Il rentre dans son sujet en deux secondes, il l’exploite, puis on en sort, c’est fini. C’est très contemporain comme approche. Il y a de l’humour, il y a de la joie, il y a du désespoir, il y a de l’extase mystique, il y a de tout. Il a fait une espèce de portrait de ce que pouvait ressentir un humain ou de ce que lui pouvait ressentir." Un menu irrésistible pour un danseur!
Des feux dans la nuit
À la suite de ce grand déploiement, le public est convié, à la salle Multi, à un tête à tête avec Elijah Brown qui interprète Des feux dans la nuit. Une autre pièce inspirée par la musique, celle de Rober Racine. Envoûtée dès la première écoute par le calme et la sérénité que dégage la musique des mots, Marie Chouinard la décrit ainsi: "C’est comme un baume. Ça libère, ça apaise. En plus, ça donne envie de bouger. Ça donne envie d’avoir des espèces de surprises dans le corps…" Des feux dans la nuit, que sa créatrice verrait mal interprétée par une femme, est empreinte de la virilité du danseur. "C’est assez soutenu, intense, puissant et sensible", décrit-elle.
Pour cette femme qui voit la création comme une aventure comportant sa part de peur devant l’inconnu, Des feux dans la nuit constituait un double défi: un premier solo pour homme et une musique d’un très grand calme. Trop calme? Les premières représentations l’ont rassurée. "Les gens sortent de là bouleversés. Oui, on peut faire un show avec quelque chose qui est comme une méditation ou une prière, surtout avec Elijah qui est un danseur tellement charismatique, mais d’une façon simple, dans la subtilité… Il est vraiment super. Et puis Rober, Rober qui joue sa musique… C’est comme si les notes de piano étaient des gouttes qui tombaient dans le lac de notre coeur. J’adore ça."
On le constate, Marie Chouinard sait apprécier le travail d’interprétation. Elle-même malheureuse sur scène parce qu’elle n’était jamais satisfaite de sa prestation, elle goûte pleinement les bonheurs de la création. "En studio, confie-t-elle, quand je vois qu’un danseur est dans un état second, quand tout d’un coup, il se passe quelque chose, je sais qu’il est passé ailleurs, dans une autre dimension. Et le geste devient comme chargé de plus de sens que moi-même j’aurais pu deviner qu’il pourrait en porter un jour. Ah là, j’en ai les larmes aux yeux. Ce sont des moments extraordinaires. L’autre chose que j’aime, c’est quand le spectacle est sur scène, puis que je sens que l’oeuvre me dépasse moi-même. Je me dis: "Comment j’ai fait pour faire ça, c’est bien trop beau". Là, je suis heureuse, complètement heureuse."
Quant au spectateur, elle souhaite qu’il ressorte de la salle en emportant ce riche moment dans son coeur, comme un cadeau.
Le 30 janvier
Au Grand Théâtre
Du 2 au 4 février
À la salle Multi
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