Camera Obscura : Un homme et son péché
Scène

Camera Obscura : Un homme et son péché

L’amour peut être d’un grand pathétisme. Vladimir Nabokov en sait quelque chose, lui qui s’est amusé dans Camera Obscura, sorte de genèse de son chef-d’oeuvre  Lolita.

L’amour peut être d’un grand pathétisme. Vladimir Nabokov en sait quelque chose, lui qui s’est amusé dans Camera Obscura, sorte de genèse de son chef-d’oeuvre Lolita, à détailler les bassesses qu’un homme d’âge mûr peut commettre pour une nymphette. En caressant pour la première fois Magda (Noémie Godin-Vigneau), Bruno Kretchmar (Gabriel Arcand) a posé le doigt dans un engrenage terrible. Bonjour les dégâts! La petite ouvreuse de cinéma en fera le héros d’un mélodrame dont elle tire sadiquement les ficelles. Une descente aux enfers qui dure trois heures et demie (avec entracte), et dont nous serons les spectateurs impuissants…

Aveuglé par l’amour (puis privé de la vue à la suite d’un suicide raté!), le quinquagénaire abandonne femme (Marina Lapina) et enfant pour se laisser manipuler par l’ambitieuse Magda, qui profite de son argent et de ses relations, tout en le trompant avec un ancien amant sans scrupules, Robert Horn (Patrice Savard, machiavélique à souhait). Autour d’eux gravitent Max (Jean-Antoine Charest), le beau-frère de l’homme adultère, et Cheepy (Daniel Mercille, qui s’exprime sur un ton guindé), une créature naine de bande dessinée qui incarne le subconscient de ces messieurs, ainsi qu’une ribambelle d’autres personnages, dont la logeuse de Magda et un truculent serviteur muet et paranoïaque.

Le metteur en scène Oleg Kisseliov, qui a en commun avec son compatriote Nabokov d’avoir choisi l’Amérique du Nord comme terre d’accueil, dirige tout ce beau monde à sa manière, c’est-à-dire en tentant de mettre la "personnalité" des comédiens à l’avant-plan. Cela donne des résultats heureux dans les cas de Gabriel Arcand et Patrice Savard (le plus russophile de nos acteurs, il était de la distribution du Songe d’une nuit d’été monté il y a trois ans par Kisseliov), qui ont comme bagage un grand talent et une solide expérience, mais moins probants du côté de Noémie Godin-Vigneau, qui en fait trop (voix et démarche traînantes, moues boudeuses), sans posséder la grâce des nymphes telles que se plaisait à les imaginer Nabokov…

Le metteur en scène a fort heureusement inséré plusieurs flashs rigolos dans ce drame, qui font honneur à l’humour slave. Les scènes de groupe (avec Christophe Rapin et Jocelyn Caron dans des rôles de patineurs, de danseurs, de serveurs, etc.) sont particulièrement drôles. Dommage toutefois que le rythme de cette création-fleuve soit considérablement ralenti par la manipulation des décors. Le déplacement de ces lourdes structures (conçues par Oleg Kisseliov, qui a aussi participé à l’élaboration des éclairages) dérange; en fait, les noirs entre chaque tableau sont pratiquement aussi longs que les scènes elles-mêmes! Le metteur en scène affirme avoir un faible pour le septième art, dont il jalouse la faculté de créer un espace qui donne une impression de réalité. Difficile, quand on remue constamment le décor, d’oublier que l’on est dans la représentation. Au lieu de l’encombrer de constructions qui entravent le déroulement de l’action, mieux aurait valu laisser les mots de Nabokov habiter la scène.

Mais la simplicité et la retenue n’ont pas été privilégiées dans cette adaptation exaltée du suspense de Nabokov. Tout y est excessif et tragique, à la limite du ridicule. À l’image des effets, souvent grotesques, de l’amour sur le pathétique héros de cette histoire…

Jusqu’au 17 février
Au Théâtre Prospero