

Maurice Béjart : Jeunesse d’aujourd’hui
Concepteur de plus de 200 ballets, d’une dizaine de mises en scène d’opéras et de pièces de théâtre, MAURICE BÉJART est un monument culturel. Après une longue absence, il est de retour à Montréal avec sa troupe.
Valérie Letarte
On peut s’intéresser à la danse depuis un bout de temps, connaître, bien sûr, le nom de Maurice Béjart, sans jamais avoir vu de ses spectacles. La dernière visite à Montréal du célèbre chorégraphe et de sa troupe remonte à une bonne dizaine d’années. "À une certaine époque, on venait très régulièrement chez vous; mais, il y a 12 ans, j’ai déménagé de Bruxelles à Lausanne et j’ai été très occupé à me réorganiser, à ouvrir une autre école. Je n’ai pas pu faire de grands voyages. Pourtant, j’ai de merveilleux souvenirs de Montréal!" lance Maurice Béjart, joint au téléphone en Suisse une semaine à peine avant d’effectuer son grand retour au Québec.
Dans le cadre du Festival Montréal en Lumière, le chorégraphe, aujourd’hui âgé de 74 ans, accompagnera ses danseurs du Béjart Ballet Lausanne, pour présenter Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Que ce titre étrange n’effraie personne, il s’agit d’une phrase tirée d’un roman de Gaston Leroux, boutade qui dans les années 20 aurait fait les délices des Surréalistes!
Cette chorégraphie, créée il y a trois ans, a obtenu beaucoup de succès en Europe, et a soulevé beaucoup d’enthousiasme. "C’est un ballet que nous avons déjà présenté à Londres, au Bolchoï à Moscou l’an dernier… Il fallait maintenant l’amener chez vous! Avec Messe pour le temps présent, Le Sacre du printemps et Le Boléro, c’est probablement un de nos spectacles qui aura fait parler le plus!"
Et pourquoi donc? "C’est une chorégraphie sur les gens qui sont morts trop jeunes. Je me suis directement inspiré du chanteur Freddy Mercury et du danseur Jorge Dunn qui, sans se connaître, au même âge, à un mois d’intervalle, sont tous les deux morts du sida. Mourir à 45 ans, c’est trop jeune. C’est un ballet sur la mort de la jeunesse."
Spectacle triste, difficile, empreint de mélancolie? "Pas du tout! c’est une pièce très joyeuse! J’ai beaucoup souffert du sida dans mes affections, parce que plusieurs de mes amis en sont morts. Mais je suis un optimiste, je crois en l’avenir de l’humanité. Je refuse de désespérer. Si chaque siècle a eu ses maladies, la peste, le choléra, la tuberculose, la syphilis, il faut continuer de lutter et de croire. Il faut penser à demain."
Le presbytère… se danse sur des musiques de Queen et de Mozart. "Il n’y a aucun lien entre ces compositeurs, sinon que Mozart aussi est mort jeune, à 35 ans. La musique de Queen, c’est par le danseur Jorge Dunn, que je l’ai découverte. Jorge Dunn est le danseur étoile qui a créé tous mes grands ballets. Le rôle principal dans Messe pour le temps présent, c’était lui. Du Queen, il en écoutait toute la journée! Moi, j’aime aussi cette musique-là, je la trouve riche et sans âge."
Pour en revenir à Jorge Dunn, à qui le ballet est dédié, Béjart souligne: "Vous savez, Montréal est la seule ville au monde où l’on trouve une statue de Jorge!". Vérification faite, le bronze autrefois visible dans le hall de la salle Wilfrid-Pelletier a été déménagé au Foyer Gascon du Théâtre Maisonneuve, nouvel emplacement qui convient d’ailleurs beaucoup mieux à son appréciation.
Autre détail non négligeable, Le presbytère… se dansera dans des costumes signés Versace. "Son avant-dernière création avant de mourir, précise Béjart. La base des costumes, c’est du blanc, noir et blanc. Puis, par moments, apparaissent des costumes de couleur, comme du violet. En fait, c’est comme un schéma en noir et blanc avec des taches de couleurs fortes, excessivement violentes même!"
Retour aux sources
Pour ceux de ma génération, Béjart, c’est peut-être surtout le fameux disque Messe pour le temps présent, la musique de Pierre Henry, et la chorégraphie-maison tentant de reproduire (à l’abri des regards adultes, au sous-sol) ce que la pochette en noir et blanc laissait deviner d’audace, de liberté. Classique de notre adolescence, redevenu depuis ingrédient essentiel de tout bon party qui se respecte.
Ce qu’on ne sait pas nécessairement de Béjart, concepteur de plus de 200 ballets, c’est qu’il a signé aussi une dizaine de mises en scène d’opéra, qu’il a écrit des pièces de théâtre, joué dans une en tant qu’acteur, dirigé Maria Casarès; qu’il a aussi tâté du cinéma; écrit un roman, et publié son journal intime. Ce qu’on appelle un véritable touche-à-tout. "Les techniques sont différentes, mais la réalité est toujours la même. Sur une scène, la réalité c’est de dire sa vérité à un public. L’artiste, qu’il soit chanteur, danseur, comédien, a le même contact avec le public. Ce qui change, c’est l’instrument. La voix, le corps."
C’est dans cette perspective que le chorégraphe a fondé ses écoles, respectivement à Bruxelles, Dakar et, au début des années 90, à Lausanne. "Notre philosophie, c’est d’essayer de donner une base de danse à la fois classique et moderne solide, pour par, la suite, ouvrir les esprits sur la musique, le chant, le théâtre. Ce sont d’abord des écoles de danse, mais avec une réelle ouverture sur les autres formes d’art."
Ce chorégraphe qui désormais figure dans les dictionnaires n’a pourtant pas l’impression d’avoir bousculé la tradition: "J’ai jamais eu le sentiment de faire la révolution! J’ai exprimé ma vérité, c’est tout. Je fais ça depuis les années 50 et je continue."
Avec un brin de fierté, il ajoute: "Mais ça dérange encore beaucoup, vous savez. L’an dernier, j’ai créé un ballet sur la pollution, les dangers écologiques, et ça a fait crier. Pourquoi? Parce que les gens ne comprennent pas du tout. Je pars toujours de sujets auxquels je crois, je les défends."
La visite à Montréal de Maurice Béjart et de sa troupe constitue un événement. Retrouvailles pour plusieurs, curiosité pour certains, valeur un peu trop "sûre" pour d’autres, vaguement pépère, osent lancer quelques-uns… Comme chaque fois, il faudra voir. Au-delà du prestige et de la célébrité.
Du 8 au 10 février
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts