Michel Nadeau : Mesure pour mesure
Scène

Michel Nadeau : Mesure pour mesure

Dire que Shakespeare est grand relève du cliché. Pourtant, il n’est que d’entendre un de ses textes pour être ébloui: par sa profondeur, sa finesse, la puissance de ses images. Dans Mesure pour mesure, si certaines scènes sont complexes – l’intrigue le commande -, d’autres brillent d’une rare  beauté

Dire que Shakespeare est grand relève du cliché. Pourtant, il n’est que d’entendre un de ses textes pour être ébloui: par sa profondeur, sa finesse, la puissance de ses images. Dans Mesure pour mesure, si certaines scènes sont complexes – l’intrigue le commande -, d’autres brillent d’une rare beauté. À titre d’exemple, les scènes où Claudio, emprisonné, s’entretient avec le Duc, puis avec sa soeur Isabelle: superbes réflexions sur la vie, sur la mort, troublantes dans leur acuité.

Michel Nadeau a transposé l’action de cette tragicomédie dans une "Vienne de théâtre", à une époque indéterminée, mais sans nul doute contemporaine. Le dispositif scénique (Monique Dion), évoquant une inutile bretelle de l’autoroute Dufferin et ses graffitis, les costumes et les gestes de plusieurs personnages secondaires évoquent la dépravation de la ville, dès le début de la pièce, avec des accents très actuels: danse d’un travesti et de prostituées sur une chanson bien connue, ghetto blaster, proxénète portant des rastas… Partant de ces images modernes, difficile de croire ensuite à la peine de mort imposée à Claudio pour avoir fait un enfant avec Juliette, sa fiancée, avant le mariage. Si l’idée de transposer est intéressante, l’ensemble aurait gagné, semble-t-il, à ce qu’on estompe certains traits. Le châtiment de Claudio étant le moteur de l’action, la réflexion sur les rapports entre pouvoir, désir et vertu perd, dans un tel contexte, autant d’efficacité que de vraisemblance.

Les scènes dramatiques retournent à un monde intemporel, avec un résultat plus heureux. La transposition passant surtout par les personnages secondaires, les costumes des personnages principaux échappent à la modernité; par l’intensité de leur dilemme, ils atteignent ainsi, par moments, une grandeur presque tragique. À une scénographie dépouillée se greffent, dans ces scènes, des éclairages très découpés (Denis Guérette). Les faisceaux taillent des espaces lumineux mais froids, tranchant avec la pénombre environnante, images des oppositions brutales et d’une certaine cruauté.

Malgré les réserves déjà mentionnées, on doit reconnaître que la direction d’acteurs est magnifique. Le texte, difficile par endroits, est rendu dans une diction et un débit impeccables; plusieurs comédiens se distinguent aussi par leur jeu. Soulignons notamment celui de Sophie Martin, en Isabelle interprétée avec grande profondeur, et celui de Pierre-François Legendre, excellent, incarnant tout en souplesse un Lucio aussi impertinent qu’attachant.

Retenons de cette production l’audace, la profonde compréhension du texte et la qualité du jeu; s’y ajoute le mérite de dévoiler un beau texte, mal connu et un peu curieux, du "Grand Will".

Jusqu’au 24 février
Au Trident