Cendrillon : Conte à rebours
Scène

Cendrillon : Conte à rebours

Les Ballets de Monte-Carlo, qui nous ont visités l’an dernier, sont de retour dans le cadre du Festival Montréal en Lumière. Au programme, en première canadienne, Cendrillon, sur la musique de Prokofiev et une chorégraphie de Jean-Christophe Maillot, directeur de la compagnie depuis huit ans.

Cendrillon

, inévitablement, ça nous ramène à Walt Disney. C’est pourtant à bien autre chose que veut nous convier le chorégraphe. "Dans le dessin animé, tout était misérabiliste, caricatural! Moi, ce que je trouve intéressant, c’est de ramener cette histoire à une dimension plus humaine, plus réaliste. La vraie question, c’est comment le public d’aujourd’hui peut-il s’identifier à Cendrillon… J’ai tenté de faire des parallèles avec des éléments actuels. Par exemple, la famille recomposée, parce que, en fait, l’histoire de Cendrillon, c’est le drame d’une jeune fille qui a perdu sa mère trop tôt et qui a dû faire face au choix de son père de se remarier."

Pour le chorégraphe, le célèbre conte de fées mérite un nouvel éclairage. "Cendrillon, en soi, n’est pas un personnage passionnant. Elle est jolie, gentille, elle trouve toujours une excuse à la méchanceté de son entoutrage. L’intérêt du personnage, c’est que Cendrillon révèle les faiblesses, les failles des autres, autour d’elle. Dans le ballet, je lui donne un rôle presque mineur. La marâtre est sûrement plus intéressante!" lance Jean-Christophe Maillot, un sourire coquin dans la voix.

Poursuivant le survol des différents personnages, le chorégraphe ajoute: "Dans le film de Disney, les soeurs sont méchantes et laides; moi, je les ai voulues jolies, justement pour que leur laideur soit dans leur coeur. Quant au fameux prince charmant, je lui ai enlevé la dimension assez féerique du noble qui vit dans un palais, couvert d’or; alors que la pauvre souillon vit dans la poussière… Ce qui est important, c’est qu’ils sont de milieux différents, et, a priori, ils ne se seraient jamais rencontrés. Et ça aussi, je pense que c’est actuel. C’est le genre de frontières qui existent, à d’autres niveaux, entre les Israéliens et les Arabes, les catholiques et les protestants…"

Jusqu’où ira ce besoin de dépoussiérer le mythe? Glissera-t-on dans le cliché, avec une Cendrillon en jeans, cheveux teints en rose? "Je m’amuse à dire souvent que mon travail n’a pas du tout l’intention de bouleverser ni de choquer! Je suis passionné par la modification des codes des grands ballets classiques, mais, je l’espère, de manière subtile. Je veux provoquer plus des évolutions que des révolutions. Quand on cumule l’ambition de toucher un large public, de lui donner en partie ce qu’il attend, mais sans pour autant tomber dans les compromis, je pense qu’il n’est pas forcément possible et nécessaire de faire table rase. Ainsi, je laisse Cendrillon dans une époque passée… Il est très important, pour moi, qu’on puisse offrir une seconde lecture, mais jamais je ne souhaiterais faire un spectacle où le propos intellectuel du chorégraphe dominerait!"

Le chorégraphe ne dédaignera pas le merveilleux, donc, mais le suggérera autrement. Le décor, par exemple:" On est partis du principe qu’on a tous, dans la tête, un livre d’images à propos de Cendrillon. On a imaginé de grandes feuilles blanches, jetées sur scène, où simplement les corps, la chorégraphie et les costumes vont s’écrire. C’est assez abstrait, mais magnifique. Ne cherchez pas de citrouille, de cheminée ou de balai: il n’y en a pas! Mais je peux vous garantir qu’avec cette scénographie, vous ne vous ennuierez pas une seule seconde du décors traditionnel", déclare avec aplomb et fierté Jean-Christophe Maillot.

Les Ballets de Monte-Carlo, rappelons-le, évoluent sous la présidence d’honneur de Son Altesse Royale, la princesse de Hanovre, qui (on le précise si vous ne fréquentez pas Paris Match) n’est nulle autre que Caroline de Monaco.

Repère de riches et célèbres, avec tout le gratin et le jet-set, Monaco n’est probablement pas un lieu de création, réputé pour son audace. Préjugé de confort? Je pense que c’est un gros malentendu, réplique Maillot. Sachez que la toute première compagnie professionnelle de création chorégraphique au monde, ce furent les Ballets Russes de Monte-Carlo… en 1909! À cette époque, la révolution culturelle, avec Matisse, Picasso, Stravinski, Debussy, Prokofiev, c’est ici que ça se passait… Il y a un décalage entre ce que les gens imaginent de Monte-Carlo et ce que la compagnie est véritablement. C’est justement la volonté de la princesse Caroline de diffuser, avec les Ballets, une image différente de ce qui est véhiculé par les magazines…"

Du 14 au 18 février
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts