Cet animal étrange : La bête humaine
À la lecture de Tchékhov, "j’ai été complètement bouleversée de l’humanité qui se dégage de ses nouvelles, du regard qu’il porte sur l’homme" confie MARIE-JOSÉE BASTIEN. "Dans ses textes, il n’y a pas de héros ni de mauvais. C’est juste l’homme, dans ses particularités, ses bons côtés, ses moins bons." En faire un spectacle? "Adapter Tchékhov, j’avais pas le culot…"
Puis, immense plaisir. La découverte de deux pièces qu’a tirées Gabriel Arout, dramaturge français d’origine russe, des nouvelles d’Anton Tchékhov: Cet animal étrange (1965) et Des pommes pour Ève (1969). Retenant cinq scènes et un titre de ces oeuvres, Marie-Josée Bastien en tire un nouveau spectacle, coproduction du Théâtre de la Bordée et du Théâtre Les Enfants Terribles. Après coupures, réaménagements, improvisations et réécriture de passages complets, l’auteure et metteure en scène, également comédienne et enseignante, présente avec ses complices – "des interprètes que j’adore" – un Tchékhov "à la fois drôle, à la fois triste". La pièce s’est construite comme une création, avec comme matériau de base les textes de Tchékhov et d’Arout. En bout de course, elle constate: "C’est un travail assez surprenant, qui s’est fait par étapes, par superposition, par couches de plaisir…"
Dans le spectacle s’intègrent aussi, conformément à l’orientation artistique des Enfants Terribles, d’autres disciplines, qui l’enrichissent. La comédienne explique: "Tu as une idée, quelqu’un vient la bouleverser, et tu vas plus loin. Ça ébranle; c’est très stimulant." Collaborant à la conception, Katia Makdissi-Warren, pour la musique, et le danseur Harold Rhéaume, pour le mouvement, contribuent tous deux à créer, à partir des différentes scènes, des images poétiques, mêlant légèreté et gravité.
On rencontre, dans Cet animal étrange, "l’Homme", qu’incarne Bertrand Alain. Aux prises avec un chien – imaginaire -, il lui raconte pour l’amadouer, un peu comme Schéhérazade dans Les Mille et une nuits, des histoires: les scènes que joueront, endossant différents rôles, les comédiens Véronique Aubut, Bruno Marquis, Nathalie Poiré, Jack Robitaille et Marie-France Tanguay. "On ne sait pas ce que le chien représente. Est-ce que ce sont les angoisses, les peurs de l’Homme? Est-ce que c’est la révolution qui arrive, sonnant bientôt la fin de la Russie tsariste? Est-ce que ce sont ses souvenirs, ses fantômes? Ça peut représenter ce que le spectateur choisit; même pour nous, ça se modifie encore."
Le spectateur assiste ainsi à la matérialisation du monde imaginaire de l’Homme. "J’aime beaucoup quand ce n’est pas réel, explique la metteure en scène. On voit les moyens que l’Homme trouve pour s’échapper de la réalité concrète, banale. Puisque l’univers est issu de son imagination, on pouvait sortir du réalisme pur: dans la gestuelle, dans l’entrée des personnages, dans les costumes (Lucie Larose), dans le décor (Christian Fontaine), dans l’éclairage (Denis Guérette). Tout le monde s’est entendu là-dessus."
Avec tendresse et lucidité, Tchékhov présente l’être humain dans ses qualités comme dans ses travers; ici, plus particulièrement, sont scrutées les relations homme-femme. Et leurs ruses, avance Marie-Josée Bastien: "la façon dont on s’y prend pour arriver à ses fins; les rôles qu’on prend pour séduire, pour tricher. L’amour, la tromperie: c’est quelque chose d’assez universel…"
Cet animal étrange est né d’une adaptation. On y retrouve pourtant l’atmosphère des grandes pièces de Tchékhov, dont se sont imprégnés tous les concepteurs: l’ensemble va decrescendo, d’une ouverture forte à un pianissimo mélancolique.
Du 13 février au 10 mars
Au Théâtre de la Bordée
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