Colleen Wagner : Les femmes et la guerre
Scène

Colleen Wagner : Les femmes et la guerre

Quand Colleen Wagner a commencé à écrire Le Monument, en 1993, 43 guerres civiles très violentes ensanglantaient le monde. En Bosnie, au Rwanda, au Timor oriental, on s’entretuait entre voisins.

Quand Colleen Wagner a commencé à écrire Le Monument, en 1993, 43 guerres civiles très violentes ensanglantaient le monde. En Bosnie, au Rwanda, au Timor oriental, on s’entretuait entre voisins. La dramaturge revenait tout juste d’un long voyage en Asie, où ses nuits avaient été ponctuées par le bruit des coups de feu.

Pourtant, cette aimable Canadienne ne voulait pas écrire une pièce sur la guerre. Oh, non. De retour dans son paisible foyer, elle prévoyait mettre en route un texte sur l’exploration du Grand Nord. Un sujet "très canadien", lance en rigolant Colleen Wagner. Mais, horrifiée par les atrocités que déversait l’actualité, elle a commencé, presque à son corps défendant, à recueillir des informations sur ces tragédies. Puis, une voix masculine s’est imposée à elle. "Ce n’est pas avant que la femme fasse son apparition que j’ai compris qu’il y avait là une pièce que je devais écrire, que je le veuille ou non." Une pièce qui a remporté le Prix du Gouverneur général, en 1995, et que La Licorne présente à compter du 13 février, dans une mise en scène de Martine Beaulne.

Cet homme, c’est Stetko (Maxime Denommée), un soldat de 19 ans, condamné à mort pour avoir violé et tué 23 femmes. Arrive Mejra (Monique Mercure), qui lui propose un étrange marché: il aura la vie sauve s’il devient son esclave… Confrontation entre un bourreau désormais prisonnier et une femme dangereusement blessée, Le Monument joue sur un renversement des rôles à double titre.

"Plusieurs oeuvres traitent de la guerre, mais toujours selon une perspective masculine, explique l’auteure. Je voulais écrire une pièce qui serait vue surtout selon le point de vue de la femme, et où j’allais examiner des questions rarement traitées avant, comme le viol. Je voulais également examiner la complicité des femmes dans la guerre. Les femmes aussi sont responsables : ce sont elles qui élèvent les garçons. Et elles sont autant capables de haine, elles peuvent aussi être violentes. Au début, on trouve que Mejra est justifiée de faire du mal à Stetko, parce que c’est un criminel. Mais après un certain temps, on réalise qu’elle commet les mêmes gestes que lui. Elle est pareille, d’une certaine façon: brutale et brutalisée par la guerre."

Pour Colleen Wagner, c’est une façon de montrer "le degré de complexité de la guerre, et comment, à un certain niveau, nous sommes tous coupables". "D’un côté, on veut que les hommes nous défendent, qu’ils défendent notre pays, nos femmes, nos enfants. Et pourtant, quand ils tuent pour nous, on les déteste pour leur brutalité. Stetko est juste un produit de la guerre. Il est devenu ce que la guerre fait des jeunes hommes."

L’auteure, qui a pleuré constamment pendant les trois semaines où elle a accouché du premier jet de cette pièce très dure, a voulu la clore sur un peu d’espoir, sur un possible pardon. Mejra enseigne à Stetko à assumer ses choix, à prendre l’entière responsabilité de ses actes. En retour, elle apprendra (peut-être) à pardonner….

"Je voulais explorer l’idée que c’est une fois qu’on a compris qu’on est tous capables de violence, qu’on peut alors commencer à comprendre et à pardonner. Si nous voulons que ça cesse, on doit tous examiner notre complicité dans la guerre. Pour moi, la pièce se situe à plusieurs niveaux. Elle porte vraiment sur toute une culture de la violence dans laquelle nous vivons. Tous les problèmes sont résolus par la violence. Qu’est-ce que ça prendrait pour renverser la vapeur? Pour moi, ce serait de réaliser qu’on est tous complices de la violence, car on fait tous partie de cette culture."

N’empêche qu’il est délicat de renvoyer presque dos à dos le bourreau et la victime… Colleen Wagner en est consciente. "Mais pour moi, c’est ça, la beauté du théâtre, réplique cette dramaturge socialement engagée. Si le théâtre ne peut pas provoquer de vrais débats et traiter de questions complexes, alors quel genre d’art est-ce? Je pense que l’art peut nous emmener dans des situations qu’autrement on trouverait trop difficiles à expérimenter."

Du 13 février au 24 mars
À La Licorne
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