Daniel Léveillé : Oeuvre de chair
Scène

Daniel Léveillé : Oeuvre de chair

En reprenant une partie des danseurs de sa pièce précédente, Utopie, le chorégraphe DANIEL LÉVEILLÉ explore le thème de la nudité pour aller au fond des choses avec son prochain spectacle: Amour, acide et noix.

À 48 ans, Daniel Léveillé n’a plus grand-chose à cacher. Sa dernière création, Amour, acide et noix, met en scène trois hommes et une femme nus. Il sait que la nudité est la meilleure publicité qui soit pour un spectacle. Cela dit, les corps exhibés dans sa danse laisseront de marbre le plus chaud des lapins. Sa gestuelle n’a rien d’érotique, elle est plutôt de type utilitaire. "Elle offre une nouvelle lecture du corps en accentuant sa fragilité", dit-il.

Le chorégraphe y travaille depuis deux ans. L’idée de dévêtir ses danseurs ne lui est venue à l’esprit que récemment. Étant conscient de s’inscrire dans un courant à la mode – les chorégraphies comportant des passages de nudité se multiplient sur la scène québécoise depuis l’automne dernier -, il se défend pourtant de vouloir faire branché. La nudité sur scène, le chorégraphe-interprète l’a expérimentée dans les années 70 alors qu’elle servait à faire un pied de nez à la religion. "Aujourd’hui, c’est différent, on ne parle plus d’une nudité mais des nudités. José Navas, par exemple, dévêt ses danseurs de façon érotique alors que pour Benoît Lachambre, la nudité reste ludique. Je m’identifie davantage à la danse du Français Boris Charmatz dans laquelle le public oublie vite le sexe des danseurs."

"Au départ, les interprètes devaient danser torse nu, poursuit-il. Mais les costumes m’empêchaient d’apprécier leurs mouvements. Maintenant, le véritable costume, c’est la peau." Le résultat l’enchante. "En étant dévêtus, les danseurs ne peuvent utiliser des subterfuges pour séduire le public ou camoufler leurs faiblesses. Ils sont obligés d’aller chercher au plus profond d’eux-mêmes."

Chorégraphe de la même génération que Ginette Laurin, Édouard Lock et Paul-André Fortier, ceux qui ont redéfini les paramètres de la danse actuelle, Léveillé est vite désigné par la presse comme un chorégraphe-interprète provocateur. Dans les années 80, après avoir créé pour Montréal Danse, le théâtre Ubu, Paul-André Fortier et le Winnipeg Contemporary Dancers, le chorégraphe livre ses propres solos, et participe à deux éditions du Festival international de nouvelle danse. Puis, au tournant des années 90, son nom disparaît des affiches de spectacles de danse.

Devenu professeur au département de danse à l’UQAM, on l’imagine en retrait de la création. Or, il n’a jamais été aussi pris par son art. Il conçoit des spectacles pour les étudiants de l’UQAM et des artistes de l’Ouest canadien. En 1994, il revient avec le duo Jules et Juliette, puis c’est de nouveau le silence. Quatre ans plus tard, il signe une oeuvre pour 17 danseurs. Utopie traite de la difficulté de vivre de la jeune génération. "Quand j’enseigne, j’ai l’âge de mes élèves. C’est la même chose quand je crée avec de jeunes danseurs. J’ai un plaisir infini. Ils déploient une faim et une énergie incroyables. De plus, ils n’ont pas appris à économiser leurs forces, car ils n’ont pas encore connu les blessures au corps. C’est de l’énergie en barre."

Amour, acide et noix reprend le même thème et trois danseurs de la distribution d’Utopie (Jean-François Déziel, David Kilburn et Ivana Milicevic; le quatrième étant Dave St-Pierre). Mais les comparaisons s’arrêtent là. Les mouvements répétitifs si chers au style de Léveillé font désormais partie du passé. "Il n’y a aucun indice théâtral et, à mon grand étonnement, c’est très chorégraphié. Mais ce n’est jamais le mouvement pour le mouvement; je travaille ainsi énormément l’intention de l’interprète", dit-il. Et les danseurs ne chôment pas. "Je les garde extrêmement occupés sur scène afin qu’ils ne soient pas préoccupés par le fait d’être nus car personne n’aime s’exposer de cette façon devant un public. Cette expérience va sans doute marquer leur façon de danser."

Un choix musical hétéroclite accompagne le quatuor sur scène. Ça va de la musique heavy métal au classique (Les Quatre Saisons de Vivaldi), en passant par du rock des années 70. "Un clin d’oeil à ma génération", dit-il.

Sa pièce n’a pas encore pris l’affiche que Léveillé planifie déjà sa prochaine chorégraphie qu’il souhaite livrer en juin 2002. Est-ce que la nudité marquera sa nouvelle conception? "Je n’en ai aucune idée, car ce n’est pas une décision qui se prend à l’avance. C’est la création qui va le décider."

Du 21 au 24 février
À l’Agora de la danse