Hitler : L’empire du mal
Scène

Hitler : L’empire du mal

Il y a des personnages minés auxquels on ne se frotte pas en toute innocence, à cause de ce qu’ils représentent. Adolf Hitler est de ceux-là.

Il y a des personnages minés auxquels on ne se frotte pas en toute innocence, à cause de ce qu’ils représentent. Adolf Hitler est de ceux-là, lui qui cristallise tous les crimes du siècle, nationalisme guerrier, racisme institutionnalisé, tyrannie meurtrière, déshumanisation. Un personnage, donc, que, a priori, on ne saurait laisser l’amnésie engloutir. De louables intentions qu’on ne peut dénier au Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), qui a eu le front de monter une pièce sur l’idéologue nazi. Mais si tout peut être matière à représentation, encore faut-il trouver la manière…

Réfugié dans son bunker à la fin de la guerre, le Hitler que nous dépeint la pièce éponyme créée à l’Espace Libre est un maniaque obsessionnel, végétarien obsédé par la pureté. Entre les interventions épisodiques de son dévoué aide de camp (Jean-Pierre Ronfard), le dictateur illuminé (Alexis Martin) soliloque, pour le bénéfice d’un double imaginaire, sur l’État, sur l’art, sur la nourriture, sur Freud, sur les femmes…

Comment incarner Hitler? Voilà un défi de taille, a fortiori pour un comédien comme Alexis Martin, qui apporte généralement une touchante humanité à ses personnages. L’interprète a beau soutenir sans faille le délire de son personnage et en posséder tous les attributs extérieurs – intonations précises, gestes calculés, petite brosse postiche plantée au milieu du visage -, sa composition n’a pas la force cruelle requise, loin s’en faut. Chez cet Hitler campé délirant dans son bunker, pantin désormais privé de réel pouvoir, peinturé en marge de ses crimes terrifiants, il ne reste qu’une silhouette caricaturale, à la moustache ridicule, au discours haineux mais grotesque. Un dictateur d’opérette.

En fait, le NTE semble s’être piégé dans une reconstitution faussement réaliste (la situation, les costumes, le décor), ne pouvant que rester en-deçà de la réalité troublante qu’il dépeint. Curieusement, le principal travail du texte porte sur le langage. Faisant forte provision de consonnes, évitant les nasales, le français parlé ici emprunte les sonorités plus dures de la langue allemande. C’est une pyrotechnie verbale, succession de métaphores outrées, une diarrhée fielleuse qui, par ailleurs, ne manque pas de bons mots, d’images juteuses.

C’est d’ailleurs pour discuter des difficultés de cette langue que les deux compères se permettent, en fin de partie, de décrocher du texte. Discussion à bâtons rompus sur le personnage, ce court mais heureux intermède, où l’on renoue enfin avec le ton NTE, laisse entrevoir ce qu’aurait pu être le spectacle s’il ne s’était pas fourvoyé dans une incarnation faiblarde et caricaturale. Malheureusement, tout ça se conclut par une finale loufoque, qui fait peu de cas de l’Histoire, tentative maladroite de laisser entendre que l’esprit hitlérien est toujours vivant…

Car le duo à la barre du NTE a la noble intention de provoquer un questionnement sur les relents hitlériens qui pourraient contaminer nos sociétés actuelles, toujours enclines aux soubresauts antidémocratiques, racistes et antipluralistes. Pourtant, au milieu de quelques considérations plutôt prophétiques sur l’eugénisme, le clonage et même l’obsession de la santé (comme ces dangereux illuminés que sont aujourd’hui les Montignac et compagnie…), la litanie d’élucubrations que la pièce prête à Hitler semble porter le public à la rigolade plutôt qu’à la réflexion sur nos propres dérives contemporaines.

En gros, c’est donc un bouffon réduit à ses obsessions (raciales et étatiques, mais surtout alimentaires, hygiéniques, corporelles, même scéniques…) que nous propose cet Hitler. Le malaise qu’on ressent devant le spectacle vient plutôt de là. Et non pas de la menace que peut représenter ce discours aujourd’hui.

Jusqu’au 10 mars
À l’Espace Libre
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