Escurial : Le temps des bouffons
Escurial est une oeuvre engagée, une dénonciation sombre et troublante du totalitarisme qui offre un intéressant complément aux délires d’Hitler présentés par Alexis Martin et de Jean-Pierre Ronfard à l’Espace libre.
Deux mois seulement après la présentation de Communication à une académie, le Théâtre de l’Utopie foule à nouveau les planches du Prospero avec Escurial, le deuxième volet d’un diptyque consacré à "la liberté de pensée et de parole qu’incarne le bouffon à travers les âges". Après Kafka, place au Belge Michel de Ghelderode et à son cruel face-à-face entre un roi tyrannique et un bouffon bien décidé à se venger de la barbarie de son maître. Cette courte tragi-comédie est bien menée par la mise en scène rigoureuse et inventive de Cristina Iovita, ex-professeure des diplômés de l’École nationale qui ont fondé le Théâtre de l’Utopie.
Dans son palais de l’Escurial, un despote (Marcelo Arroyo) règne sur un pays dévasté et hanté par des chiens hurlants. Il passe le temps en torturant Folial (Catherine Hamann), le bouffon de la cour. Le grotesque Folial n’est pas un clown; il est aux prises avec un destin tragique qui l’éloigne de la comédie. Ce pauvre bouffon bossu, condamné à une vie de paria, se sacrifiera pour donner une bonne leçon à son bourreau et ainsi lui démontrer que le plus fou des deux n’est pas obligatoirement celui qui porte ce nom…
La force de cette troisième production du Théâtre de l’Utopie (la première, Isabelle, trois caravelles et un charlatan, inaugurait la Balustrade du Monument-National à l’automne 1999) réside à la fois dans la puissance et la finesse de l’écriture de Michel de Ghelderode et dans la précision de la mise en scène, inspirée de la commedia dell’arte, de madame Iovita (assistée par Danny Gagné et Michel Lavoie).
Marcelo Arroyo et Catherine Hamann livrent une performance physique impressionnante. Visiblement, chaque mouvement a fait l’objet d’une attention particulière, que ce soit une pitrerie, un coup ou une caresse. Plus encore que les mots amers de l’auteur, qui ne coulent malheureusement pas toujours avec naturel de la bouche des comédiens.
Le Théâtre de l’Utopie mise depuis ses débuts sur des décors et des costumes minimalistes. Cette fois, la scénographe Kine Liholm Johannessen a opté pour un espace de jeu dénudé, dont le plancher de bois surélevé est divisé en trois paliers. Quelques accessoires agrémentent le tout, dont une amusante couronne bricolée avec des fourchettes, et des flûtes de papier distribuées aux spectateurs. Mais qu’on ne s’y méprenne pas: malgré ces clins d’oeil festifs, Escurial est une oeuvre engagée, une dénonciation sombre et troublante du totalitarisme qui offre un intéressant complément aux délires d’Hitler présentés par Alexis Martin et Jean-Pierre Ronfard à l’Espace Libre.
Preuve que l’art théâtral peut encore déranger et agiter les consciences…
Jusqu’au 24 février
Salle intime du Théâtre Prospero