Le Monument : Je me souviens
Scène

Le Monument : Je me souviens

La guerre. Sujet dramatique par excellence depuis les Grecs, d’autant plus troublant lorsqu’il est représenté dans un pays ayant peu connu de guerres.

La guerre. Sujet dramatique par excellence depuis les Grecs, d’autant plus troublant lorsqu’il est représenté dans un pays ayant peu connu de conflits. Un pays "dangereusement en paix", pour reprendre la curieuse formule de l’homme de théâtre Wajdi Mouawad. Bien entendu, il ne faut pas attendre que le Canada déclenche une guerre avant que nos directeurs artistiques programment des pièces sur ce thème; un thème qui soulève la plus grande question de l’histoire de l’humanité: pourquoi les hommes s’entretuent-ils?

Je dis bien "les hommes". Car, avec Le Monument, une pièce sombre et très dure de l’Albertaine Colleen Wagner, ils sont sur le banc des accusés. Le Théâtre de la Manufacture et son directeur Jean-Denis Leduc aiment nous faire découvrir des textes inédits d’auteurs canadiens-anglais. Celui de Colleen Wagner, traduit admirablement par la dramaturge montréalaise Carole Fréchette, mérite la découverte.

À la fin d’une guerre qu’on ne nomme jamais, un jeune soldat (Maxime Denommée), qui a violé et tué 23 femmes, est condamné à mort. Mais le meurtrier sera plutôt livré à la mère (Monique Mercure) d’une des victimes. Elle le fera prisonnier et exigera qu’il lui obéisse sans broncher s’il veut rester en vie. Devenu esclave de cette femme-tortionnaire, le soldat refuse pourtant de se repentir. Prétextant qu’il n’est pas responsable de ses actes qui, en tant de temps de guerre, sont choses courantes. La femme le conduira au milieu d’une forêt et lui demandera d’exhumer les corps des victimes afin de leur rendre un ultime hommage. S’il refuse, le soldat devra creuser sa propre tombe…

Créée en 1995 par le Canadian Stage Company, à Toronto, Le Monument expose l’implacable logique de la guerre; et comment l’homme perpétue, au fil des siècles, le cycle de la haine et de la vengeance. Colleen Wagner le fait par l’entremise de cette femme qui a le pouvoir de vie et de mort sur un homme et qui devient, elle aussi, cruelle et sans pitié. L’auteure met en lumière la manque de courage des hommes qui serait au coeur même de l’acte de barbarie. Derrière la glorification de la guerre, ils ne font que masquer leur lâcheté. La guerre est un crime que les hommes répètent sans cesse, et les femmes en sont des victimes oubliées, nous laisse entendre Wagner avec Le Monument.

Voilà une pièce qui demande un investissement énorme de la part des acteurs. Monique Mercure y atteint des sommets de cruauté qui donnent des frissons au public. Pour expier les souffrances de ces femmes tuées brutalement, elle incarne une justicière, froide et intraitable, mais qui, vers la fin, laisse entrevoir (un peu maladroitement) une humanité troublée. Moins expérimenté, Maxime Denommée souffre de la comparaison avec sa collègue. Toutefois, on reconnaît ici un jeune comédien habité et très talentueux.

La production à l’affiche de La Licorne est dirigée avec intensité par Martine Beaulne. La belle scénographie dépouillée de Danièle Lévesque (qui laisse le public très à l’étroit) représente un sol recouvert de terre. Ce décor illustre très bien l’aridité du propos et la sécheresse de ces deux âmes meurtries par la violence.

La metteure en scène a enlevé les trois dernières répliques du texte qui pouvaient laisser envisager un possible pardon de la mère envers le meurtrier de sa fille. Le spectacle se termine plutôt sur "Comment je peux te pardonner?"

Une question à laquelle personne, ici, ne semble pouvoir répondre. Ce qui explique peut-être pourquoi le cycle infernal de la guerre n’est pas prêt de cesser…

Jusqu’au 24 mars
À La Licorne
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