Tchékhov : Cet animal étrange
Vaste terrasse, maison que suggèrent fenêtre et porte vitrée côté jardin (Christian Fontaine), fond de scène fait de draperies que les lumières (Denis Guérette) teintent des couleurs du ciel qui change: tel est l’univers épuré servant d’écrin aux fines émotions des textes de Tchékhov.
Vaste terrasse, maison que suggèrent fenêtre et porte vitrée côté jardin (Christian Fontaine), fond de scène fait de draperies que les lumières (Denis Guérette) teintent des couleurs du ciel qui change: tel est l’univers épuré servant d’écrin aux fines émotions des textes de Tchékhov. Magnifique.
Un homme titubant entre en scène. Bientôt il sursaute et se met à converser avec un chien invisible. Vision, souvenir ou remords? Qu’importe: l’homme raconte, inventant sous nos yeux des histoires. Au gré de sa mémoire et de son imagination, les personnages glissent en scène, "apparitions" dont les mouvements chorégraphiés (Harold Rhéaume) créent une prenante impression d’irréalité. Ces tableaux vivants s’animent ensuite pour présenter des moments et personnages divers, habillés de costumes à la grâce fanée (Lucie Larose), vestiges d’une Russie élégante et occupée de ses plaisirs, avec ce qu’il faut de tissu effiloché pour rappeler que s’agitent sous nos yeux des imaginations de l’homme, à l’existence précaire.
Les textes, adaptés de quelques nouvelles de Tchékhov par Gabriel Arout et Marie-Josée Bastien, qui signe également la mise en scène, forment un ensemble où passe, de la lumière à l’obscurité, du plaisir aux confidences, le souffle du grand auteur russe: on rit, on est ému. La réussite des tableaux, toutefois, est inégale. Les premières scènes, colorées, pétillent de vivacité, alors que certains tableaux plus tristes apparaissent par moments surjoués, trop, du moins, pour respecter l’esprit de Tchékhov, toujours en retenue et en nuances. Le spectacle, enfin, se clôt sur une note un peu étonnante, tranchant avec la mélancolie et l’ironie douce de l’auteur devant les hasards et ratages de la vie.
Bertrand Alain, incarnant l’homme, se tire avec grand talent d’une tâche difficile: jouer seul, ou avec son étrange " partenaire" le chien imaginaire… On retiendra également les prestations touchantes et variées de Nathalie Poiré et de Véronique Aubut. Enfin, outre la beauté des textes, quelques moments de grâce: les premières scènes, lumineuses, et le monologue d’une femme brodant pour gagner – difficilement – le pain et le bois de l’homme qu’elle aime, encadrée, dans un triptyque évocateur, de la jeune mariée et de la veuve.
Cet animal étrange témoigne à coup sûr d’un grand amour de Tchékhov, et d’un travail généreux et bien orchestré. Jouer et diriger des textes de Tchékhov est, admettons-le, tâche difficile, l’aune du dramaturge russe étant une mesure bien exigeante, par la délicatesse qu’elle commande.
Jusqu’au 10 mars
Au Théâtre de la Bordée