Isabelle Van Grimde : L’empire des sens
Scène

Isabelle Van Grimde : L’empire des sens

Une danse habilement construite et habillée d’une scénographie ravissant l’oeil et le coeur; voilà en résumé le style d’ISABELLE VAN GRIMDE. Dans quelques jours, la chorégraphe, qui s’impose de plus en plus en Europe, présentera au public montréalais deux nouvelles créations.

Si la danse ne l’avait pas happée voilà 10 ans, Isabelle Van Grimde aurait bien pu devenir philosophe tellement elle adore jongler avec les concepts, baigner dans l’abstraction. Inventer des mouvements, pousser les limites du corps à l’extrême, décomposer le vocabulaire gestuel, elle fait tout ça le sourire aux lèvres, avec la sûreté de quelqu’un qui sait où il s’en va.

"Désormais, je veux avoir du plaisir au travail. Bien sûr, la souffrance n’est jamais loin puisque je transmets quelque chose enfoui en moi. Mais le bonheur de créer doit l’emporter par-dessus tout, car les conditions financières de notre métier sont tellement difficiles", dit-elle.

Depuis 1996, année de la création À l’échelle humaine, les choses se sont mises à débouler pour l’artiste d’origine belge. Des diffuseurs européens l’invitent à créer chez eux puis à présenter ses oeuvres un peu partout en Europe. Naissent alors les magnifiques pièces Maisons de poussière et May All Your Storms Be Weathered. Le style Van Grimde s’impose: une danse habilement construite et habillée d’une scénographie ravissant l’oeil et le coeur, et cela, malgré son caractère abstrait. "Mes oeuvres sont faites de chair et d’os; elles laissent donc parler le corps."

Isabelle Van Grimde reconnaît volontiers faire de l’abstraction son plat quotidien. Étant consciente de la difficulté de rallier le grand public à un langage dénué de sens, la jeune femme balaie du revers de la main l’argument voulant que le mariage entre la pureté d’un mouvement et l’émotion soit impossible. "Pour moi, l’abstraction, c’est extraire le sens des choses, se laisser guider par l’instinct et le plaisir. Tout ça, c’est très concret, car je veux offrir quelque chose de vrai et de senti."

Dans quelques jours, la chorégraphe présentera au public de l’Agora de la danse ses dernières créations coiffées de titres aussi jolis qu’évocateurs: Trois Vues d’un secret et Pour quatre corps et mille parts inséparables.

La première est issue d’une collaboration avec l’Ensemble contemporain de Montréal. Sur scène, trois danseuses interpréteront à tour de rôle le même solo, mais sur des musiques inédites, jouées en direct par un duo de violoncelliste et guitariste. La seule contrainte imposée aux compositeurs invités James Harley, Serge Arcuri et Michael Oesterle: écrire une musique d’une durée limitée. "L’idée de départ, c’était d’évaluer le pouvoir de la musique sur la perception du public. En assistant trois fois à une même pièce mais composée sur des musiques différentes, le spectateur percevra-t-il la même chose pour cette chorégraphie?", questionne la chorégraphe.

Pour Quatre corps et mille parts inséparables, Isabelle Van Grimde s’est inspirée des écritures chinoise et arabe. Cette fois-ci, une bande composée des musiques de Robert Normandeau, Denis Smalley et Randall Smith accompagne la chorégraphie. Créée à l’origine au Théâtre du Manège-Scène Nationale de Maubeuge, en France, avec les danseurs Ken Roy, Robert Meilleur et Paryse Mongrain, Pour quatre corps et mille parts inséparables est aujourd’hui défendue par Annie-Claude Coutu Geoffroy, Charlotte Grant, Zoë Poluch et Élise Vanderborght. Des Montréalaises dans la vingtaine qui ont travaillé pour des compagnies établies, telles que les Grands Ballets Canadiens et la Compagnie Marie Chouinard. "J’engage des interprètes très physiques; des fortes personnalités capables de remettre en question leur apprentissage, explique Isabelle Van Grimde. Depuis Maisons de poussière, je poursuis une recherche sur l’identité, la construction de l’être. J’ignore si un artiste peut parler de choses différentes dans son travail. J’ai l’impression qu’on explore toujours les mêmes thèmes mais que notre recherche prend des formes différentes."

Parcours d’une combattante
Installée à Montréal depuis le début des années 80, Isabelle Van Grimde avait auparavant quitté sa Belgique natale pour étudier la danse à Paris et à New York. Très rapidement, la jeune danseuse se lasse des styles chorégraphiques qu’on lui propose et se tourne vers la création.

Conçues dans le tournant des années 90, ses premières oeuvres, plutôt concrètes, se jumellent avec le cinéma, entre autres. Sa volonté d’approfondir sa recherche vers l’abstraction, combinée avec des préoccupations musicale et visuelle, émerge quelques années plus tard. "Les chorégraphes entretiennent un drôle de rapport avec la musique. Il y a eu une époque où la musique collait à la danse. Puis, une autre où compositeur et chorégraphe unissaient leur travail sans se consulter. Ces dernières années, mes collègues ont de la difficulté à travailler avec de la musique originale, ils préfèrent choisir des trames sonores. Je trouve ça dommage, car il y a un dialogue à établir avec les musiciens."

L’automne dernier, une tournée européenne a précédé les représentations montréalaises deTrois Vues d’un secret et Pour quatre corps et mille parts inséparables. Les spectacles ont été bien accueillis par les Polonais, les Belges et les Allemands. "Ils ont jugé ma danse sans compromis", raconte celle qui admire la même caractéristique chez sa consoeur Lynda Gaudreau.

Rêvant d’un lieu établi pour sa compagnie, Isabelle Van Grimde poursuit, en attendant, son petit bonhomme de chemin. Au cours des prochains mois, elle compte entreprendre deux chorégraphies, toujours en collaboration avec des compositeurs. Mais peu importent les conditions de travail incertaines, à partir du moment que le plaisir marque ses gestes, le reste peut bien attendre…

Du 7 au 17 mars
À l’Agora de la danse