Suzanne Lantagne : Culture physique
Scène

Suzanne Lantagne : Culture physique

"L’obscène est une arme puissamment libératrice". Suzanne Lantagne répète avec conviction les mots dont Dario Fo s’est servi pour présenter Fabulage obscène, trois contes pour adultes réunis dans son recueil Histoire du tigre et autres histoires.

"L’obscène est une arme puissamment libératrice." Suzanne Lantagne répète avec conviction les mots dont Dario Fo s’est servi pour présenter Fabulage obscène, trois contes pour adultes réunis dans son recueil Histoire du tigre et autres histoires. Trois fables polissonnes que la comédienne, metteure en scène, auteure et professeure avait adaptées pour la scène lors d’un atelier donné au Conservatoire d’art dramatique. Deux ans plus tard, ses 10 ex-étudiants reprennent ce sulfureux spectacle, dans une version plus élaborée. Pour l’occasion, ils ont redemandé à l’enseignante de diriger le joyeux bordel qu’ils présenteront, cette fois, en plein coeur de la Petite Italie…

Les trois histoires adaptées par Suzanne Lantagne sont à la fois naïves et subversives, touchantes et comiques. Pas vulgaires du tout. "Bien qu’explicites, les textes sont poétiques et rejoignent quelque chose d’universel, de profond, de large, de lumineux. Ils parlent de liberté", remarque-t-elle. Lucius et l’Âne est une satire érotique qui raconte les aventures d’un jeune homme métamorphosé en âne, dont les impressionnants "attributs virils" séduisent une aristocrate. La parpaillole-souricette nous présente un berger sans malice, effrayé par le sexe de sa femme, qu’il croit vivant. Le tumulte de Bologne met en scène des paysans débrouillards qui prennent d’assaut un château avec comme seule arme… de la merde. Une hilarante histoire que l’auteur italien – qui a déjà affirmé que l’ironie et la légèreté figurent parmi les plus grandes formes d’intelligence – dit inspirée d’un fait authentique, survenu au XIVe siècle. Chaque texte est précédé d’une introduction jouée par les comédiens, qui se glisseront dans la peau de saltimbanques racontant à tour de rôle une partie du récit.

Pas de quatrième mur, donc, dans le spectacle que met en scène Suzanne Lantagne. Les conteurs s’adresseront directement au public, le visage dissimulé par un masque. "Il s’agit d’un outil théâtral très libérateur, qui permet de canaliser l’énergie des acteurs vers leur corps. Rien de pire, au théâtre, que les acteurs qui se contentent d’être des têtes parlantes…" Le mouvement, c’est le dada de cette touche-à-tout qui a fait sa marque dans toutes les sphères de l’activité théâtrale. Au cours des 20 dernières années, la diplômée de l’Université Concordia a été membre de la troupe Omnibus, a fondé et dirigé pendant cinq ans la compagnie de théâtre Le Pool, mis en scène une vingtaine de pièces, joué dans plusieurs autres et conçu un spectacle solo, La Marche. Elle a publié deux recueils de nouvelles et enseigné dans diverses institutions. Un parcours impressionnant, traversé d’une certitude: pour être vivant, le théâtre doit être physique.

Cette passion pour le corps "matière première du théâtre", Suzanne Lantagne dit la partager avec le Nobel italien, qu’elle a eu la chance de rencontrer alors qu’elle répétait avec une troupe à Gênes. "Le théâtre de Dario Fo est très physique; c’est un mélange de commedia dell’arte et de théâtre engagé. Un heureux alliange, aussi, d’érudition et d’instinct. Fo, c’est à la fois comédien de rue et intellectuel. Son érudition et son engagement transparaissent dans son traitement de la langue, et cela passe très bien dans la traduction française." Une traduction mâtinée d’italien, à laquelle quelques expressions du cru ont été ajoutées…

"Dans le théâtre italien, il y a quelque chose de chaleureux et de vivant. Comme le disait Fellini, il faut regarder ça avec son estomac! Une oeuvre chaude ne vise pas que le cerveau, mais tout le corps. Et Fabulage obscène, c’est vraiment le cas de le dire, ne vise pas que la tête…"

Jusqu’au 17 mars
Casa Italia, 5o5, rue Jean-Talon Est