Suzanne Lemoine : Un monde à part
Une même pièce, deux mondes. Montréal, petit marché théâtral qui se permet un Hamlet par décennie et un Macbeth par quart de siècle, s’offrira dès la semaine prochaine le rarissime luxe de deux productions simultanées de la "pièce écossaise" de Shakespeare.
Une même pièce, deux mondes. Montréal, petit marché théâtral qui se permet un Hamlet par décennie et un Macbeth par quart de siècle, s’offrira dès la semaine prochaine le rarissime luxe de deux productions simultanées de la "pièce écossaise" de Shakespeare. Les deux spectacles se joueront à 500 mètres l’un de l’autre, mais dans des contextes ô combien différents…
Dans le coin est de la rue Ste-Catherine, représentant le théâtre institutionnel: la production attendue du TNM. Un peu plus à l’ouest, dans la salle autrement plus marginale de l’X, la petite Compagnie à numér0s offrira aux amateurs sa vision personnelle et désargentée de Macbeth, présentée tout juste après la pièce de la compagnie de répertoire, à 23 h 30! Les mordus qui auront assisté au spectacle du TNM pourront avoir un rabais sur le prix de leurs billets…
Volonté de dissidence? Pas forcément. Le projet est né à l’automne 1998, alors que Michel Bérubé, jeune comédien passionné de Macbeth qui étudie la mise en scène au Conservatoire d’art dramatique, réunit Suzanne Lemoine et Michel-André Cardin pour travailler sur les trois grandes scènes du couple maudit. Après trois mois où ils se sont donné la chance, trop rare dans ce milieu, de creuser le texte, le trio se quitte en exprimant l’intention de monter la pièce, éventuellement.
Un projet que Suzanne Lemoine a cru mort et enterré quand elle a vu la programmation 2001 du TNM, au printemps dernier. Jusqu’à ce que Michel Bérubé trouve une solution: pourquoi ne pas proposer son spectacle en même temps?… Pour la comédienne, c’est d’abord la réalisation d’un rêve. "Je pense que je suis un peu cataloguée dans le milieu, alors on ne me demande jamais de jouer des classiques, explique l’intense interprète de Pop Corn et des Quatre Morts de Marie. Mais moi, j’adore Shakespeare. Et il y a longtemps, je m’étais dit que j’aimerais jouer Lady Macbeth à 40 ans. Et j’ai eu 40 ans en novembre…"
Macbeth en stéréo
Ce Macbeth en stéréo, Suzanne Lemoine ne le voit pas comme une confrontation, mais plutôt comme un parallèle dynamique entre "deux paliers complètement différents, quant aux moyens, au nombre de spectateurs et au public qu’on va rejoindre". Deux mondes qui ne se mélangent guère: le théâtre institutionnel et l’indépendant.
"Moi, je suis ouverte aux deux, et parfois je n’aime pas la façon dont les gens considérés dans la marge parlent des institutions, et inversement, précise la comédienne. Pour moi, les deux contextes présentent des avantages et des inconvénients; et dans les deux cas, le théâtre reste un risque. Mais soyons réalistes: les grosses institutions ne sont pas l’endroit où l’on va prendre le plus de risques, et c’est normal. Elles ont un gros poids sur les épaules, s’adressent à un public plus large…
"Je trouve qu’il y a quand même de l’audace, surtout ces dernières années. Mais c’est sûr que les compagnies de la relève peuvent se permettre d’être plus provocatrices. On n’y a pas de moyens, mais on retrouve la passion de notre adolescence, quand on prenait un drap et une canne de peinture… Je pense que ce bassin de jeunes compagnies est nécessaire. Et que la couche "en bas", pour la nommer comme ça, nourrit énormément ce qui va se passer "en haut" dans trois, cinq ou dix ans."
Voilà en tout cas un événement d’autant plus inusité que Macbeth est rarement présentée ici. "C’est une pièce qui fait un peu peur", avance la comédienne, qui sera entourée notamment par Stéphane Demers et Jean Turcotte. "Shakespeare a vraiment réussi à aller dans la noirceur de l’âme humaine. La pièce est tellement forte que, selon la légende, elle agit sur les gens qui s’en approchent trop… Quand on a commencé à répéter, j’avais des résistances. Parfois, je plonge dans l’univers intérieur de mes personnages, et cela m’affecte. Et tout ce qu’on trouve de plus laid en nous est dans ces personnages-là. Cette frénésie du pouvoir, je pense que ça fait partie de chacun de nous. D’une certaine façon, je trouve ça sain d’explorer ça, même si c’est une pièce très noire. Parce que c’est en plongeant dans la noirceur qu’on va s’en délivrer."
Ce Macbeth ramassé en une heure quinze, la production l’examine "sous le microscope de la science", dans l’univers aseptisé de la médecine moderne. "Michel (Bérubé) a utilisé un monde plus proche de nous afin de mieux comprendre les actes et les intentions des personnages, et de mieux rentrer dans le vrai propos de la pièce." La comédienne ne veut pas trop en dévoiler; elle se dit toutefois "très inspirée par la vision du metteur en scène."
Un peu inquiète devant la perception des gens, Suzanne Lemoine fait son affaire en essayant de ne pas trop penser à sa grande vis-à-vis (Sylvie Drapeau, voir entrevue ci-contre), qu’elle admire énormément. De ne pas songer à "l’autre" production. "Je me vois un peu comme une souris à côté d’un éléphant, avoue l’interprète. C’est sûr qu’une souris, ça peut fatiguer un éléphant… En même temps, je trouve qu’il y a quelque chose de dynamique là-dedans. Ça va peut-être susciter la curiosité des gens par rapport au théâtre, leur montrer que c’est un art extrêmement vivant, où il y a des visions différentes. Et honnêtement, tout ce qu’on veut, c’est présenter un bon show."
Du 7 au 24 mars
À l’X (182, Sainte-Catherine Est)