Sylvie Drapeau : Au-delà du bien et du mal
Deux productions de Macbeth de Shakespeare, aux antipodes l’une de l’autre, prendront l’affiche la semaine prochaine à Montréal; au TNM, et à deux pas de la Main, dans un bar punk de la rue Sainte-Catherine Est (voir article page 38). Mère depuis peu, SYLVIE DRAPEAU remonte sur les planches du TNM pour incarner l’un des plus cruels – et des plus importants – rôles féminins du répertoire dramatique.
La femme assise devant moi est à mille lieues du personnage sombre qu’elle répète depuis déjà plusieurs semaines. Radieuse, sereine, réconfortante, Sylvie Drapeau se présente à l’entrevue avec son bambin de six mois, Maurice Drapeau Goyette. Ce dernier sera charmant comme un ange et séduira le critique; on n’est pas le fils d’un couple de comédiens en vain!
Mais dès la semaine prochaine, au Théâtre du Nouveau Monde, la Drapeau j0uera un autre rôle qui lui tient à coeur: l’ambitieuse et très cruelle Lady Macbeth. Elle partagera la scène avec Pierre Lebeau, qui assure le rôle éponyme dans la tragédie Macbeth, de Shakespeare, rarement présentée au Québec (Dans le cadre de son cycle Shakespeare, Robert Lepage a signé un Macbeth au Festival de théâtre des Amériques, en 1993; Wajdi Mouawad a produit une version nocturne dans un parking, en 1991; et les comédiens Gilles Renaud et Christiane Raymond ont défendu le couple maudit dans la langue joualisante de Michel Garneau, en 1978.) Lorraine Pintal a confié la mise en scène de cette nouvelle production à Fernand Rainville, qui fait ses débuts au TNM, et dirigera une imposante distribution, dont, entre autres, Henri Chassé. Raymond Legault, André Robitaille Pierre Rivard, Isabelle Roy, Catherine Sénart, Kathleen Fortin, Sylvie Ferlatte et Pierre Chagnon qui incarnera Banquo.
"Quelle aurait été ma Lady Macbeth sans mon bébé? Je ne le saurai jamais. Mais je pense que pour une comédienne, toute expérience profonde la transforme. De toute façon, pour une actrice, c’est un rôle de maturité. On ne peut pas faire Lady Macbeth à la sortie de l’École ou du Conservatoire. Ça prend quelques personnages derrière la cravate avant de s’attaquer à celui-là. Elle va être composée un peu de Thérèse, d’Albertine, de Winnie et de Hedda Gabler…. Je vais la jouer avec ce que je suis et ce que je porte, avec tout mon être."
C’est probablement la pièce la plus noire, la plus violente, voire la plus sanglante, d’un auteur réputé pour ne pas faire dans la dentelle. "C’est aussi une pièce très mâle, très virile, ajoute Sylvie Drapeau. Mais Lady Macbeth est quand même un moteur de la pièce. C’est elle qui pousse son mari au meurtre. Elle se nourrit du mal et elle le transmet à Macbeth. Elle est très logique dans sa malédiction. Elle va jusqu’au bout du mal. Et lorsqu’elle s’est vidée de sa substance maléfique, il ne lui reste plus qu’une chose à faire: se tuer."
Au retour d’une bataille, Macbeth reçoit un oracle de trois sorcières qui lui prédisent qu’il règnera un jour sur l’Écosse. Poussé par son ambitieuse épouse, il tue le roi Duncan. Puis, devenu souverain, il fait assassiner son meilleur ami, Banquo, et ensuite ceux qui se doutent de son crime. C’est le bain de sang: chaque meurtre en provoque un autre, jusqu’au jour où le peuple se révoltera.
"On travaille beaucoup (avec Fernand Rainville) sur le côté érotique de la pièce. L’ambition démesurée du couple Macbeth, leur désir de pouvoir, cela les excite beaucoup sexuellement…" Les aventures de Clinton ne sont pas trop loin…
"Contrairement au souverain d’Écosse, Lady Macbeth ne doute jamais de ses actes, poursuit Sylvie Drapeau. À la minute où elle commence à voir poindre l’ombre d’un doute, elle sombre dans la folie. Mais dans cette démesure, cette folie, il y a sûrement une détresse. Des femmes comme elles, intelligentes et très ambitieuses, à l’époque (au Moyen-Âge) étaient automatiquement écartées de la société."
"Néanmoins, je ne sais toujours pas pourquoi Lady Macbeth est si cruelle et ambitieuse. Le texte ne me donne aucune clef. D’ailleurs, je n’ai pas travaillé le personnage de façon psychologique. Shakespeare le fait agir et nous le montre comme il est : habité et possédé par le mal, l’ambition. Il a beaucoup de références aux oiseaux. Et je vois Lady Macbeth comme un oiseau de malheur, une femme qui laisse déferler ses mots comme un corbeau croasse…"
Et l’ambition, cela fait-il vibrer une corde pour cette grande comédienne de théâtre?
"J’avais l’ambition des grands rôles, et j’ai été chanceuse parce que j’ai goûté à ça. Maintenant, je ne planifie plus autant l’avenir de ma carrière. Je ne crois pas faire de théâtre, l’an prochain, à moins d’un coup de coeur qui me sortirait de chez moi…" ¸
Parole de jeune maman.
Dès le 6 mars
Au Théâtre du Nouveau Monde
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