Floes : Laisser de glace
Scène

Floes : Laisser de glace

Créée au Théâtre d’Aujourd’hui, la première pièce – montée sur une scène professionnelle – du jeune auteur Sébastien Harrisson semble malheureusement piégée par l’abstraction de la situation qu’elle dépeint.

Avec un peu d’imagination, la prémisse de Floes pourrait aisément se lire comme une saisissante métaphore de la production elle-même: une oeuvre à l’abandon, flottant dans un vide abstrait, et qui laisse de glace.

Créée au Théâtre d’Aujourd’hui, la première pièce – montée sur une scène professionnelle – du jeune auteur Sébastien Harrisson semble malheureusement piégée par l’abstraction de la situation qu’elle dépeint. Aussi sûrement que ses deux personnages sont captifs du bout de banquise où un accident dans la mer Arctique les a abandonnés. Il faut du temps pour voir pointer la moindre goutte d’émotion dans cet échange cérébral entre les deux vieux amants: le prof de lettres, qui refuse l’évidence de leur mort prochaine (Robert Lalonde), et le médecin retraité (Jean Marchand), tranquillement résigné et zen comme c’est pas permis.

Jonglant avec des notions ambitieuses, sorte de contraste nature-culture, Floes dénude l’environnement de ses protagonistes pour mieux mettre en relief le questionnement de ce couple d’intellos ayant vécu dans la marginalité, et qui se voient soudain confrontés à l’ordre de l’univers et à la précarité de leur existence, que rien ne perpétuera après eux.

L’ennui, c’est que ces personnages parlent comme des livres, et qu’aucune tension dramatique ne vient vraiment soutenir la pièce, puisque tout est joué d’avance. Sébastien Harrisson a signé un texte bien écrit, nourri de quelques réflexions intéressantes, mais plus littéraire que théâtral, et éclairci par de trop rares touches d’humour. Un baptême de glace pour un jeune auteur non dénué de talent, mais manquant manifestement d’expérience et très mal servi ici par le Théâtre d’Aujourd’hui.

Rarement a-t-on vu univers aussi peu incarné, dramatiquement. Et on a la nette impression que la mise en scène ne fait qu’empirer les choses. De cet univers immatériel et livresque, Alice Ronfard n’arrive à tirer rien de tangible. Malgré l’ingéniosité du dispositif scénique de Gabriel Tsampalieros, le lieu nage dans l’imprécision.

Tournant le dos à tout réalisme, et souvent, même, à l’humanité que pourrait dégager ce dernier tour de piste de vieux amants, le spectacle ne parvient pas non plus à imposer une réalité onirique, flottant ainsi entre deux eaux sans réussir à s’incarner. La production n’a notamment pas résolu de façon crédible le casse-tête que posent les intrusions fantastiques de la spectrale Lady Franklin, représentation féminine mythique associée à la mort, mais aussi à la vie et à sa dimension organique… Par contre, sous la diction précise de Jacinthe Laguë, les belles sonorités de cette partition anglaise caressent agréablement l’oreille. Pour les yeux, c’est une autre histoire: la créature a quelque chose d’une méduse…

Ajoutons qu’en confiant les protagonistes septuagénaires à des comédiens dans la force de l’âge – que la production ne cherche d’ailleurs pas à vieillir, ni physiquement ni dans l’attitude -, la question de la continuité, qui se pose quand on arrive au bout de sa route, et à proximité de la mort, thème au coeur du spectacle, tend d’autant plus à rester une vue de l’esprit. Représentatif en cela d’un spectacle par trop abstrait, campé dans une espèce de no man’s land théâtral.

Un spectacle qui, hélas, ne nous laisse pas grand-chose en héritage…

Jusqu’au 24 mars
Au Théâtre d’Aujourd’hui

Voir calendrier Théâtre