Guy Alloucherie : Couage poétique
C’était en 1988. Martin Faucher, Suzanne Lemoine et Benoît Vermeulen créaient un petit spectacle qui allait devenir, mine de rien, l’un des shows-cultes de la dramaturgie québécoise. Onze années plus tard, À quelle heure on meurt? connaissait une seconde vie.
C’était en 1988. Martin Faucher, Suzanne Lemoine et Benoît Vermeulen créaient un petit spectacle qui allait devenir, mine de rien, l’un des shows-cultes de la dramaturgie québécoise. Onze années plus tard, À quelle heure on meurt? connaissait une seconde vie; mais cette fois sous la griffe singulière d’un metteur en scène français, Guy Alloucherie, qui montait la pièce avec sept jeunes comédiens de Québec. Cette semaine, c’est au tour des Montréalais de pouvoir découvrir, au Théâtre Denise-Pelletier, cette coproduction du Théâtre du Trident et de la Compagnie Hendrick Van Der Zee, célébrée par les critiques de la Vieille Capitale.
Repéré en Avignon par Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Trident, qui lui propose une collaboration, Guy Alloucherie est plongé dans la lecture de pièces québécoises quand il tombe sur ce collage de l’oeuvre ducharmienne, signé Martin Faucher. Choc. Le metteur en scène découvre avec admiration un auteur qu’il ne connaissait pas du tout. "Il y a chez Réjean Ducharme une poésie folle, une poésie de l’excès, et, en plus, quelque chose de profondément humain. Ses personnages sont tous tellement à fleur de peau. C’est un univers absolument magnifique. Et démesurément humain."
Puisant dans plusieurs oeuvres de l’auteur de HA ha!… mais épousant surtout la trame de son roman Le nez qui voque, À quelle heure on meurt? raconte le combat de deux adolescents qui refusent de grandir contre l’imminente venue de "l’adulterie" et de ses compromissions. Enfermés dans une chambre du Vieux-Montréal, Mille Milles et Chateaugué décident de se suicider afin de préserver la pureté de leur amour.
Dans la version très personnelle de Guy Alloucherie, cette pièce écrite pour deux comédiens compte trois Mille Milles (Paul-Patrick Charbonneau, Éric Leblanc, Jean-Sébastien Ouellette) et quatre Chateaugué (Annie La Rochelle, Éva Daigle, Maude Robillard, Marie-Claude Tremblay).
En faisant passer des auditions, le metteur en scène a réalisé qu’il aurait du mal à choisir un couple de comédiens, sacrifiant ainsi les autres interprétations. "Et c’est un peu une façon pour moi de m’approprier cette histoire, de construire mon propre collage. Il y a quelque chose de très universel dans l’oeuvre de Ducharme. Et je me suis dit que la façon de rendre ce caractère universel, c’était peut-être de démultiplier l’histoire et de la faire interpréter par des personnalités très différentes. Comme si ce n’était pas que l’histoire d’un couple, mais aussi, d’une certaine manière, celle de tout le monde. Je crois que plein de gens peuvent se retrouver dans Mille Milles et Chateaugué."
Se reconnaître dans leur soif d’absolu. "On a peut-être fait une croix, au fil du temps, sur des désirs, sur une certaine folie. Mais cette part d’extrême et de révolte, que portent ces éternels adolescents, je crois que c’est quelque chose qui vit toujours en nous, quel que soit notre âge. En même temps, Mille Milles et Chateaugué, c’est un peu Roméo et Juliette, ou Tristan et Iseult. Des couples qui veulent garder leur amour sincère et fort, et qui sont confrontés au temps qui passe, à l’impossibilité de faire durer l’amour."
Le spectacle s’est beaucoup bâti à partir d’improvisations ("je pourrais dire que les comédiens en sont aussi, en partie, les auteurs"). Aimant bien mélanger les disciplines, travaillant volontiers avec des danseurs, et même avec des acrobates, le metteur en scène a ajouté les mouvements au texte. "J’avais l’impression qu’il fallait le prendre à bras-le-corps, explique-t-il. Et que je pouvais écrire, entre les lignes des chorégraphies, des jeux de corps à corps ou d’étreintes. Mais toujours des mouvements issus de la vie, des rapports entre les gens."
À quelle heure on meurt? revient d’une tournée d’une dizaine de petites villes françaises. "C’est un spectacle qui suscite des réactions très tranchées, constate Guy Alloucherie. Je crois que ça tient à plein de choses. Déjà, l’écriture appelle ça. La langue est belle, mais elle est violente, incisive comme une lame de rasoir. C’est une langue périlleuse, alors elle fait peur, sans doute. J’ai l’impression que cette langue ne peut pas laisser indifférent."
Du 16 au 31 mars
Au Théâtre Denise-Pelletier