Macbeth au TNM : Les profondeurs de l’abîme
Sans la substance ni le souffle brutal de la pièce de Shakespeare, le Macbeth du Théâtre du Nouveau Monde bat de l’aile après un surprenant envol. À quelques rues de là, un Macbeth très underground vaut le détour pour une expérience théâtrale hors du commun.
Il y a un prologue ajouté, au cas où l’on n’aurait pas compris que Macbeth est la tragédie de l’ambition et de la soif de pouvoir qui perdent les hommes; il y a même un faucon, en chair et en plumes, qui, telle une métaphore de la mort, traverse la salle de son vol gracieusement sinistre à plusieurs reprises. Il y a tout ça, qui relève de l’accessoire; mais on ne retrouve guère, dans la grosse production du Théâtre du Nouveau Monde, la substance de la pièce de Shakespeare, le souffle brutal qui transporte cette oeuvre "maudite". Un volatile ne fait pas une pièce…
Dommage, parce que ce spectacle très inégal débutait bien, avec les incantations musicales et primitives des trois sorcières. Campées avec une délectation machiavélique par Catherine Sénart, Kathleen Fortin et Sylvie Ferlatte, ces créatures ont de la gueule. Efficacement traduite par Marie José Thériault, la "pièce écossaise" présente ici un aspect rugueux répercuté dans une imagerie aux couleurs terre, dans ses batailles rustres. Si l’on apprécie inégalement les costumes hybrides signés Carmen Alie et Denis Lavoie (certains sont d’un goût fort discutable), la profondeur du magnifique décor de Réal Benoît renvoie un écho éloquent au ténébreux abîme dans lequel le couple Macbeth ne cesse de s’enfoncer.
Pourtant, un peu à l’image de son protagoniste, ce Macbeth semble ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Lourdement mise en scène par Fernand Rainville – un "spécialiste" de la dramaturgie nord-américaine, Mamet et Dalpé en tête, qui s’attaque à son premier Shakespeare -, cette production imposante souffre de certains mouvements de groupe empesés, ainsi que d’une distribution (réduite, par rapport au nombre de personnages, ce qui nous vaut certains doubles emplois dérangeants) pas toujours à la hauteur de la tragédie.
C’est particulièrement probant sur le plan de certains rôles secondaires. Par exemple, le spectacle se serait évité un intermède longuet et embarrassant en coupant le monologue du portier ivre, incarné sans aucun sens du comique par Bobby Beshro…
Par ailleurs, hormis quelques scènes où elle se laisse emporter dans des excès de fureur mal maîtrisés, qui la transforment en véritable harpie, l’impériale Sylvie Drapeau donne du chien à l’implacable et vénale Lady Macbeth, dont elle rend bien l’étoffe. Dans une scène unique mais très sentie, l’autre Lady – Macduff, celle-là – de la pièce trouve en Isabelle Roy une interprète forte et assurée.
Malheureusement, l’un des problèmes de taille de ce Macbeth tient à l’interprétation du rôle éponyme lui-même. Acteur de puissance, misant sur sa force brute, Pierre Lebeau déclame énergiquement son texte dès la première scène, celle de sa rencontre avec les sorcières. Son registre ne changera guère tout au long de la pièce. On sent donc peu d’évolution dans son jeu, même si la tragédie monstrueusement humaine de Macbeth, celle d’un général triomphant devenu un despote tourmenté à cause de l’appât du pouvoir, commande autant d’intériorité que de force tragique.
En dernier, alors que le tyran écossais, défait, sait que tout est perdu, il y a un moment où, enfin, le comédien à la voix rauque met en sourdine son puissant organe, et où l’on ressent avec acuité ses tourments. Autrement, on a peu accès à cette figure complexe à laquelle Shakespeare a fait le don empoisonné de la lucidité. Aux dérives hantées d’une conscience coupable qui, ici, ne nous touche pas plus qu’elle ne nous glace.
Jusqu’au 7 avril
Au TNM
L’autre Macbeth
par Luc Boulanger
Si nous étions à New York, ce show serait qualifié d’off-off-Broadway… Or voilà, ici à Montréal, on parle plutôt d’un spectacle en marge du TNM…
En décidant de monter son Macbeth parallèlement à celui présenté au Théâtre du Nouveau Monde, Michel Bérubé propose une déroutante expérience aux amateurs de Shakespeare. Comédien dans le téléroman Bouscotte, Bérubé s’est attaqué à la pièce maudite avec les moyens du bord, et avec la détermination d’une bande de comédiens qu’on voit rarement dans les théâtres institutionnels.
Ce Macbeth se démarque d’abord par son lieu de diffusion pas très… classique: l’X, un bar destroy dont les murs, remplis de trous et de graffitis, témoignent des excès de la faune punk du Red Light. Une fois installé avec sa bière, le spectateur a la possibilité de regarder la représentation juché à la mezzanine, ou assis dans l’aire de jeu, à proximité des comédiens. La lecture clinique et audacieuse que propose cette troupe est intéressante. Cependant, elle aurait pu mettre davantage de folie pour parler d’une totale réussite.
Présenté à 23 h 30 – une demi-heure après la tombée du rideau au TNM -, ce Macbeth a été abondamment amputé de personnages et de répliques. Le metteur en scène a conservé les scènes importantes avec Macbeth et Lady Macbeth, ainsi que celles des trois sorcières. La scénographie, très simple, joue avec le côté artisanal de cette production: de longs draps blancs pour cacher les coulisses, une baignoire remplie d’eau qui trône au milieu de la scène, c’est tout! Les costumes sont encore plus surprenants. En apprenant la mort du roi Duncan, les personnages se lèvent en pleine nuit avec de drôles de pyjamas ou même en bobettes!
Dans le rôle de Macbeth, Michel-André Cardin est remarquable. Par contre, en Lady Macbeth, Suzanne Lemoine ne m’a pas convaincu. Cette comédienne, excellant dans le théâtre de création ou contemporain, n’a pas le gabarit ni l’autorité pour ce genre de répertoire. L’une des plus belles surprises de la soirée reste l’interprétation ludique des sorcières par Lucie-Paul Hus, Brigitte Lafleur et Sophie Labelle. Les trois actrices exécutent, entre autres, un rap autour du chaudron en chantant la préparation de la recette d’une potion maléfique. Savoureux.
Pour le reste, sous la direction de Bérubé, la tragédie écossaise s’éloigne énormément de l’atmosphère médiévale de la pièce de Shakespeare. Elle prend parfois des allures psychotiques et troublantes; on pense à l’asile de fous de Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman, ou aux héros tordus de David Lynch.
C’est connu, le goût du pouvoir et l’ambition démesurés corrompent les hommes. Mais ils peuvent aussi les rendre fous. Voilà, en résumé, le point de vue de Bérubé qui fait de Macbeth et de sa femme des êtres pathologiquement attirés par le mal. Malheureusement, le metteur en scène n’approfondit pas son idée de base.
Néanmoins, Michel Bérubé a le courage de secouer l’édifice d’un grand monument du théâtre. Et ce, sans prétention. Ce qui justifie le détour par les bas-fonds du nightlife montréalais.
Jusqu’au 24 mars
À l’X (182, rue Sainte-Catherine, Est)