Venecia : Putain de vie!
Scène

Venecia : Putain de vie!

Les choix artistiques du Rideau Vert m’ont souvent laissé perplexe. Cependant, si j’ai parfois critiqué sévèrement ses productions, je dois remercier sa direction pour une impérissable chose…

Les choix artistiques du Rideau Vert m’ont souvent laissé perplexe. Cependant, si j’ai parfois critiqué sévèrement ses productions, je dois remercier sa direction pour une impérissable chose: depuis Les Belles-Soeurs, en 1968, ce théâtre offre régulièrement aux actrices des personnages féminins en or! Ce qui, dans le répertoire classique ou moderne, demeure malheureusement trop rare.

Après Grace et Gloria, Venecia, la plus récente production du Rideau Vert, à l’affiche jusqu’au 31 mars, est une oeuvre qui expose une merveilleuse facette de la solidarité féminine. La pièce du dramaturge argentin Jorge Accame a connu un bon succès en Amérique du Sud (elle a été créée en 1998, en Argentine, où elle est toujours présentée). Elle met en scène des femmes aux moeurs légères, mais avec un coeur énorme, réunies autour d’une vieille tenancière d’un bordel de troisième ordre situé dans les montagnes au nord de l’Argentine.

Aveugle et amère, Gringa (juste et émouvante Kim Yaroshevskaya) rêve de revoir un homme qu’elle a trahi, jadis, mais qu’elle aime toujours tendrement. Pour ce faire, elle doit se rendre à Venise, ce qui nécessite une somme d’argent que ni elle ni ses filles de joie ne possèdent. Or, c’est sans compter sur l’affection et l’ingéniosité de ses filles, et aussi d’un fidèle client (François L’Écuyer), qui lui feront voir la Sérénissime sans quitter leur bled perdu. Avec trois fois rien, grâce à la magie du théâtre, le charme opère autant pour Gringa que pour les spectateurs.

Bien qu’elle reste souvent à la surface des choses, l’écriture de Jorge Accame, pleine de bons sentiments et d’humour, touche à coup sûr le public. Par contre, nous sommes loin du réalisme magique de Gabriel Garcia Márquez; certains dialogues et jeux de mots tombent platement dans la facilité. Venecia se rapproche plutôt d’un vaudeville bourgeois à la Éric-Emmanuel Schmitt – la nostalgie latine en plus – que de la grande littérature sud-américaine.

Ce ton nostalgique est bien servi par la mise en scène de Guillermo de Andrea et par la douce musique d’Osvaldo Montes. Ainsi que par le jeu de ces comédiennes de métier que sont Pauline Lapointe, Marie-Chantal Perron et Linda Sorgini dans le rôle des prostituées.

Malheureusement, la traduction québécoise du cinéaste André Melançon ne les aide pas. Car elle empêche ces actrices de rendre leurs personnages tout à fait crédibles et réalistes. Cette tendre fable en souffre un peu. Surtout sur le plan du niveau de langue, beaucoup trop élevé, utilisé par ces femmes pauvres et ignorantes (elles ne savent même pas que Venise est en Europe, et elles éprouvent de la difficulté à lire un prospectus de voyage). Ça ne colle pas vraiment. Et quand ces Argentines se mettent à imiter l’accent italien, on en perd son latin…

Jusqu’au 31 mars
Au Théâtre du Rideau Vert