À quelle heure on meurt? : Le temps fou
Scène

À quelle heure on meurt? : Le temps fou

"Le terne, le tiède et le lent engluent." C’est Mille Milles qui le dit, dans À quelle heure on meurt?, un collage de textes de Réjean Ducharme conçu par Martin Faucher.

"Le terne, le tiède et le lent engluent." C’est Mille Milles qui le dit, dans À quelle heure on meurt?, un collage de textes de Réjean Ducharme conçu par Martin Faucher il y a une dizaine d’années. Mais ç’a aurait tout aussi bien pu être Guy Alloucherie, auteur et metteur en scène d’une version de ce collage créée l’an dernier par le Trident à Québec, et choisi meilleur spectacle de l’année par les critiques de la Vieille Capitale.

Le Théâtre Denise-Pelletier offre actuellement aux Montréalais la chance de découvrir à leur tour cette adaptation excessive, dérangeante, vibrante et ludique.

Délirer dans l’interprétation tout en respectant la magnifique écriture de Réjean Ducharme, tel est le pari qu’a fait (et relevé) Guy Alloucherie pour sa première mise en scène en sol québécois. Sa version furieuse d’À quelle heure on meurt? reste fidèle au propos de l’auteur, même si elle se sert de la danse, du cirque et de l’art clownesque pour nous le communiquer. Pour l’occasion, Mille Milles et Chateaugué ont développé des personnalités multiples: lui est interprété par trois comédiens (Paul-Patrick Charbonneau, Éric Leblanc, Jean-Sébastien Ouellette) et elle, par quatre (Éva Daigle, Annie La Rochelle, Maude Robillard, Marie-Claude Tremblay). Ces deux êtres écorchés ne sont pas vieux, mais déjà las de vivre. Ils ont 16 et 14 ans, et souhaiteraient n’en avoir que huit et six. Ils craignent de devenir adultes, décidant de se suicider plutôt que de mourir vieux, laids et malades. Enfermés dans une chambre, respecteront-ils leur pacte de quitter le monde avant de "finir finis"?

Si la première version d’À quelle heure on meurt? était un vrai collage fait avec des ciseaux et de la colle, celle de Guy Alloucherie tient plus du "copier-coller". Cette adaptation possède en effet, dans sa construction, quelque chose de mathématique (elle est composée de huit extraits du collage, répétés en moyenne trois fois), de clair et d’organisé, qui offre un heureux contrepoids à la prose bouillonnante et sombre de Ducharme.

Les sept comédiens se produisent sur une scène bordée de projecteurs et jonchée d’accessoires, à l’image d’une salle de répétition. Lors d’ateliers, le metteur en scène français n’a retenu que huit passages, huit noeuds du collage. Ces fragments seront répétés sur tous les tons, criés, récités, dits posément ou avec fougue, selon la personnalité de l’interprète. Parfois jusqu’à devenir agressants.

On assiste à une véritable fête du jeu: un comédien débite un bout de l’histoire au micro, puis deux autres jouent le même extrait avec intensité, tandis que leurs compagnons attendent leur tour en révisant leur texte, en sautant sur un divan ou en se faisant D.J. devant un vieux tourne-disque. Leur spontanéité renouvelle le propos, le bouscule et lui confère une grande charge émotive.

Cette mosaïque théâtrale met en valeur la beauté et la férocité de l’écriture de Ducharme. L’essentiel du texte provient du roman Le nez qui voque. On reconnaît aussi certains passages de l’Hiver de force et de L’Avalée des avalés, ainsi que des chansons composées pour Robert Charlebois. À cela s’ajoutent des pièces de Willie Lamothe, PJ Harvey, Schubert et Björk! Un choix musical empreint de dérision, tout comme l’utilisation des costumes, façon déguisements d’enfants.

Ce joyeux bordel volontairement inachevé et sans prétention, qui dure à peine un peu plus d’une heure, est un show festif et grave, délirant et bouleversant.

Jusqu’au 31 mars
Au Théâtre Denise-Pelletier