Jean-Pierre Perreault : Chapelle ardente
Après des années de pérégrination dans des locaux aux quatre coins de la ville, le créateur de Joe a enfin sa maison pour la danse. Et pour fêter ça, JEAN-PIERRE PERREAULT nous promet un printemps tout en mouvements.
Avez-vous déjà rêvé de voir évoluer une troupe de danse rien que pour vous? Ce rêve pourrait devenir réalité. Tout au long d’avril, Jean-Pierre Perreault offrira une vingtaine de représentations de sa dernière création, L’Exil/L’Oubli, dans les lieux rénovés de sa compagnie. À un mètre de leur nez, 120 spectateurs pourront admirer 16 personnages sombres et mélancoliques, typiques de l’univers du créateur de Joe.
"Nous sommes la première compagnie de danse québécoise à être propriétaire d’un lieu de création et de production", affirme d’entrée de jeu le chorégraphe. Propriétaire depuis 1991 de l’ancienne église Saint-Robert-Bellarmin, rue Sherbrooke Est, la Fondation Jean-Pierre Perreault a entrepris, en 1995, d’importants travaux de rénovation. En insufflant une nouvelle vocation à l’ancienne église anglicane, Jean-Pierre Perreault croit avoir fait avancer d’un pas de géant les conditions de travail des danseurs, habitués à des locaux insalubres dépourvus de vestiaires. "Pour la première fois de leur carrière, ils peuvent prendre une douche chaude après les répétitions." Pas vraiment un luxe…
Le nouvel édifice a de la gueule. Un vaste studio et un plus petit remplacent bancs et sacristie. Il ne reste plus de traces du presbytère sinon l’escalier qui mène aux bureaux administratifs. Seules les longues fenêtres en forme d’arc et la brique rouge évoquent l’ancien lieu sacré. Le bureau du chorégraphe loge dans la tour, au dernier étage de l’édifice, d’où l’on peut admirer le pont Jacques-Cartier et les environs. "Avant l’achat de l’édifice, on répétait rue Richmond, on entreposait notre matériel à Montréal-Nord et nos bureaux administratifs se situaient rue Cherrier. Nous étions sans doute la compagnie de danse qui avait les plus laids locaux en ville", se souvient en souriant Jean-Pierre Perreault. Le choix de l’ancien refuge des Compagnons de Saint-Laurent s’est vite imposé, car "c’était important que la nouvelle résidence ait une âme et soit située rue Sherbrooke, au coeur de la vie montréalaise".
En investissant trois millions de dollars de subventions dans la remise en beauté des lieux, le chorégraphe et directeur artistique réalise des objectifs qui lui tiennent à coeur depuis longtemps: s’offrir de vastes studios destinés à ses propres créations et à celles de jeunes chorégraphes. "Pour aider à payer l’hypothèque, des compagnies de théâtre ou de cinéma pourront louer les studios. Ces locations nous permettront de parrainer de jeunes compagnies. Mais je ne veux pas prêter les lieux à tout le monde. Certains chorégraphes m’intéressent plus que d’autres. Bien sûr, mes danseurs ont priorité."
Perreault souhaite aussi que son espace chorégraphique serve à des projets d’expérimentation, histoire de confronter l’artiste au risque, car "c’est dans un contexte de totale liberté que les meilleures idées surgissent". Ainsi, le premier projet à voir le jour au mois de mai implique trois chorégraphes et anciennes danseuses de Perreault (Hélène Blackburn, Louise Bédard et Danièle Desnoyers) qui seront jumelées à trois architectes. Chaque duo livrera, chaque samedi, le fruit d’une semaine de collaboration.
Le couteau sous la gorge
Ces dernières années, les demandes de subventions, les travaux de démolition et ensuite de rénovation sont venus chambarder le sommeil du chorégraphe. Mais c’est lorsqu’il est coincé de toute part que le vieux routier de la danse donne son maximum. Ses pièces, il les crée depuis 30 ans en quelques semaines seulement. Sa méthode de travail: il dessine d’abord la scénographie; ensuite, il crée les mouvements en studio avec les danseurs. Ne lui posez pas trop de questions sur ce qu’il pense de sa dernière oeuvre, car il ne se souvient de rien. Un handicap qui ne le gêne pas du tout. "Il faut se mettre dans la peau du spectateur, et ça, les chorégraphes ne le font pas assez souvent. La danse abstraite, je ne suis pas capable. Il faut sentir la vie dans les mouvements!"
Celui qui a l’habitude de refuser les offres venant d’autres compagnies a accepté en janvier de créer une oeuvre pour 31 danseurs du Ballet National du Canada. "La compagnie a dansé du Perreault et l’a très bien fait." L’Exil/L’Oubli fut conçu voici deux ans dans des conditions éprouvantes, à l’extérieur de la Fondation. "J’ai eu peur de me casser la gueule", affirme le chorégraphe. Présentée deux soirs seulement, lors de la dernière édition du Festival international de nouvelle danse, l’oeuvre pour 16 danseurs a ému et enchanté le public. La préoccupation du chorégraphe pour la condition humaine marque plus que jamais les gestes de sa troupe. Le principal changement se situe dans la quasi-absence d’immenses fresques qui décoraient depuis plusieurs années la danse de Perreault. "J’ignore si L’Exil/L’Oubli manque un tournant dans mon travail. Les Années de pèlerinage (sa précédente pièce) l’avait davantage fait. C’est là que j’ai décidé d’épurer la scène."
Cinq nouveaux danseurs, parmi les meilleurs sur la scène montréalaise, font partie de la reprise de L’Exil/L’Oubli (Estelle Clareton, Robert Meilleur, Sarah Williams, Blair Neufeld et Yves St-Pierre). "Ça ne m’intéresse pas de travailler avec des interprètes qui ne vivent que pour la danse. J’ai besoin de générosité autour de moi, et j’aime que mes interprètes aient des enfants, dansent pour d’autres compagnies ou chorégraphient. C’est en ayant vécu qu’on risque le plus de toucher à l’essentiel."
À 15 jours de la première, Perreault compte intervenir lors des répétitions. "Je vais faire ce que je n’ai pu faire au moment de la création. Je vais régler les détails, parfaire les mouvements et, surtout, bichonner les danseurs." Le public assistera-t-il à une nouvelle version de L’Exil/L’Oubli ? "Ceux qui ont vu ma pièce n’auront pas de surprises, mais ils auront l’occasion d’aller plus en profondeur."
Même s’il affirme, comme à chaque entrevue, vouloir prendre un long repos, ses croquis continuent de noircir son calepin. Une chose est sûre cependant: il a reporté aux calendes grecques les travaux de rénovation de sa propre maison…
Du 28 mars au 28 avril
À l’Espace chorégraphique de la Fondation Jean-Pierre Perreault