Yerma : Liberté surveillée
"Le théâtre, s’il n’est pas important ou utile, ça ne m’intéresse pas, affirme REYNALD ROBINSON. Je souhaite, avec mes spectacles, que les gens sentent qu’en eux quelque chose s’ouvre. L’art pour moi c’est fait pour ça: pour dénouer des noeuds en-dedans de nous."
Ce désir de permettre l’ouverture, Reynald Robinson le poursuit avec Yerma, qu’il prépare avec de jeunes comédiens (Nadine Meloche, Serge Bonin, Marie-Ève Larivière, France Larochelle, Pierre-François Legendre, Sophie Martin, Anne-Marie Olivier et Pascale Roy) et concepteurs (Sharon Scott, Catherine Higgins, Gigi Wenger, Marc Vallée, Frédéric Dubois) de Québec.
"Yerma, c’est un long poème, avec chansons et danses. C’est lyrique, et en même temps social." Écrite en 1934, la pièce de Federico Garcia Lorca raconte l’histoire "d’une héroïne", secouant le joug social et religieux de son univers. Incapable, après son mariage avec Jean, d’avoir un enfant, Yerma est pointée du doigt par famille et voisins. Déterminée à assouvir ce profond désir, elle part à la recherche d’un moyen d’y parvenir. "Tous les personnages qu’elle rencontre la mènent vers une compréhension plus grande": d’elle-même, de sa vie. Quête de réponses, son parcours est finalement quête de liberté.
"À un moment dans la pièce, Yerma dit "je ne suis pas libre", révèle le metteur en scène. Et on frissonne toujours quand elle le dit. Pourquoi frissonner, encore aujourd’hui?; c’est qu’on est toujours en quête de cette liberté-là." Étouffée par les conventions de l’Espagne rurale des années 30, Yerma n’en représente pas moins toute victime d’oppression. Image, à l’époque de Lorca, de la femme soumise qui doit revendiquer son pouvoir, elle est aussi métaphore de l’Espagne muselée par la droite. "Elle veut un enfant, mais c’est plus large que ça: vouloir cet enfant, c’est vouloir la suite du monde. C’est pour moi primordial dans la pièce: c’est la femme qui détient le pouvoir de continuité…" L’oeuvre de Lorca, appel à la libération, a réellement provoqué une prise de conscience, un éveil du peuple. Nulle surprise d’apprendre que Garcia Lorca est assassiné, en 1936, par les troupes de Franco.
Le dernier Lorca joué à Québec remonte à 1992: La Maison de Bernarda Alba. Lorca: auteur difficile à jouer? Robinson acquiesce. "Quand j’ai dit que je montais un Lorca, les gens m’ont dit "t’es fou!"… Yerma est une pièce tellement intéressante à monter; mais c’est un gros morceau. C’est un texte intense, mais c’est très difficile à faire. Il faut travailler l’ampleur du langage, comprendre et transmettre toutes les subtilités et les nuances du texte. Pour les comédiens, ça demande aussi une ampleur dans le jeu: on ne peut pas jouer ça d’une façon réaliste, banale. En même temps, il y a dans le jeu une grande poésie. La pièce est un souffle, exigeant: ça ne peut pas se jouer autrement que de partir comme un coup de feu, avec une grande intensité, jusqu’à la fin."
Autre particularité: la jeunesse de tous les interprètes, même ceux incarnant des rôles de personnages plus âgés, voulue par Robinson. "Pour moi, c’était très important que le spectacle n’apparaisse pas comme une "vieille pièce de vieux". Que ce soient des jeunes qui parlent de cette envie d’être libre, que des jeunes disent à d’autres jeunes: "on croit encore que ça existe.""
"On avance humainement en travaillant une pièce; on espère que le public sera un peu élevé lui aussi par cette oeuvre… Au-delà du succès, est-ce qu’on a fait un show qui atteint des gens, qui leur a permis, au moins, de percer un petit trou?: ça pour moi, c’est la vraie job qu’on a à faire."
Du 27 mars au 21 avril
Au Théâtre de la Bordée
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