Christiane Cohendy : Le roman d’une actrice
Dès les premières secondes, on reconnaît tout de suite une grande actrice. C’est une énergie, une voix, un rayonnement de tout l’être, une intensité du regard, une qualité dans la présence: en somme, autant de choses qui se sentent avant que de s’expliquer.
Dès les premières secondes, on reconnaît tout de suite une grande actrice. C’est une énergie, une voix, un rayonnement de tout l’être, une intensité du regard, une qualité dans la présence: en somme, autant de choses qui se sentent avant que de s’expliquer.
Ce sentiment m’a frappé, mardi dernier, en entrant dans une petite salle du Théâtre du Nouveau Monde pour rencontrer Christiane Cohendy. À la demande de la direction du TNM, la comédienne française est venue à Montréal (sa première visite ici) faire la promotion de L’Orestie, d’Eschyle, un texte, écrit il y a 2500 ans, et considéré comme l’origine du théâtre occidental.
Créé en 1999 à Milan, par le Théâtre de L’Odéon, ce spectacle a été présenté avec succès à Paris et en tournée européenne. Il ouvrira la 50e saison du TNM, le 4 septembre. En retour, L’Odéon, une des plus prestigieuses institutions théâtrales d’Europe, accueillera, en février 2002, l’équipe québécoise de L’Hiver de force, le roman de Réjean Ducharme, adapté et mis en scène par Lorraine Pintal. Dans le hall du TNM, des affiches de L’Orestie montrent la comédienne en pleine action. Quand je lui fais remarquer qu’on ne la reconnaît pas sur la photo, elle réplique tout de go: "J’espère bien!"
Ce jour-là, madame Cohendy jouait le jeu de la promotion: entrevues, conférence de presse, rencontre avec les comédiens et les metteurs en scène de la prochaine saison, puis avec les abonnés du TNM. À la fin de la journée, elle était seule, sagement assise dans son coin. Professionnelle. "Je ne connais personne ici. Mais je suis en terrain connu. Je suis dans un théâtre. Je vois les coulisses, la salle de répétition, les loges. Tout ça m’est familier. Je ne me sens pas étrangère."
À défaut d’avoir vu jouer Christiane Cohendy, les Québécois peuvent se rabattre sur sa feuille de route. Elle a travaillé avec les plus réputés metteurs en scène contemporains: Jorge Lavelli, Matthias Langhoff, Roman Polanski, Jean-Pierre Vincent, Alain Françon et Stuart Seide… Elle a défendu des classiques: Molière, Williams, Tchekhov, Claudel et Beckett (elle a été Vladimir dans Godot!). Et elle a joué des textes contemporains (Koltès, Steven Berkoff et Christian Rullier). "Pour moi, la rencontre avec un metteur en scène est essentielle. C’est ce qui me décide à accepter ou à refuser un rôle. Répertoire ou création? Peu importe. Mon intérêt premier est de découvrir le travail et la personnalité d’un metteur en scène. Et je travaille rarement avec les mêmes plus de deux fois."
Sous la direction de Georges Lavaudant, le directeur de L’Odéon, Christiane Cohendy incarne Clytemnestre, la reine meurtrière et infidèle qui sera assassinée par son fils, Oreste, dans cette séculaire histoire de sang et de vengeance des Atrides. "Nous avons travaillé sur ce texte comme des archéologues qui découvrent un objet inestimable, un sphinx, explique la comédienne. L’objet est plus riche que toutes nos interprétations. Il faut donc aborder le texte comme un rivage inconnu. Peu à peu, on commence à mieux le comprendre. On lui donne alors notre éclairage. Et cette lumière-là va permettre au public d’avoir accès à l’oeuvre.
"En lisant la trilogie d’Eschyle, on découvre les origines de la démocratie, l’instauration de la justice basée sur un tribunal succédant à la loi du talion. Et la poésie est très belle. Les images sur la guerre (Eschyle a été soldat à deux reprises dans sa vie) sont magnifiques."
Un classique, c’est un contemporain de tous les temps. Les horreurs de la guerre de Troie ont des résonances avec celles du Kosovo ou du Rwanda. Mais, par-delà la violence et le sang, la comédienne estime que ce sont les bases de l’humanité et de la démocratie qui demeurent fragiles: "L’homme n’est qu’une idée, dit-elle. Une idée grande et généreuse, mais qu’on doit sans cesse retravailler, car rien n’est acquis. L’évolution de la démocratie n’est pas linéaire. Parfois, il y a une faille qui permet à l’horreur et au despotisme de ressurgir. Il faut sans cesse rallumer le flambeau. Sinon, on retombe dans la bestialité, la sauvagerie."
Avec une quarantaine de productions en 30 ans de métier, sans parler du cinéma et de la télévision, des prix importants (le Molière de la meilleure actrice, en 1996, pour Décadence), Christiane Cohendy a-t-elle l’impression d’être parvenue au sommet de son art. "Au départ, je suis toujours habitée par la même fragilité qu’à mes débuts. Je suis une petite fille qui a grimpé sur une chaise, et qui s’apprête à sauter pour la première fois! Mais, avec l’expérience, j’accepte mieux mes vertiges et mes angoisses. J’ai moins peur du vide. Au fil du temps, un acteur se débarrasse de sa pudeur. Alors il peut se consacrer à ce qu’il aime le mieux: investir l’âme humaine à travers les personnages qu’il crée."
Du 4 au 16 septembre
Au TNM
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