Le Petit Bistro du grand Jacques : Le bonheur est dans le Prévert
Scène

Le Petit Bistro du grand Jacques : Le bonheur est dans le Prévert

Pour une troisième fois en autant d’années, Christian Vézina présente à Montréal une création théâtrale mettant en vedette la prose d’un de ses auteurs favoris.

Pour une troisième fois en autant d’années, Christian Vézina présente à Montréal une création théâtrale mettant en vedette la prose d’un de ses auteurs favoris. Avec Le Petit Bistro du grand Jacques, le poète et comédien de l’île d’Orléans continue d’exploiter le filon qui l’avait mené à mettre en scène les écrits poétiques du surréaliste Henri Michaux (Henri bricole) et ceux du bon docteur Jacques Ferron (Veillée chez le Maréchal-Ferron).

Cette fois, c’est à Jacques Prévert qu’il s’attaque. Avec Le Petit Bistro…, Vézina donne, en quelque sorte, une nouvelle vie aux écrits de l’auteur anarchiste, qui disait justement de la poésie qu’elle est "le plus joli surnom qu’on donne à la vie"…

Sur une terrasse aménagée à même un trottoir, une poignée d’habitués (que l’on ne verra jamais) prennent un pot en attendant que s’ouvrent les rideaux d’un castelet. Arrive à bicyclette le grand Jacques (Christian Vézina), un poète jovial et bohème qui vend des boîtes à musique pour payer ses cafés crème. Il tombe instantanément sous le charme de Maurice (Violette Chauveau), un garçon de café à la moustache synthétique et aux courbes féminines qui, apprendrons-nous, se prénomme en fait Arlette… Se pointe ensuite le squeegee Kevin (Vézina, transformé par des dreads rouges), un Québécois affamé et sans le sou qui, aussitôt arrivé sur les lieux, s’éprend de la très épanouie Barbara (Chauveau, tout de rouge vêtue). Cette péripatéticienne philosophe, spécialisée dans la clientèle littéraire, considère les connaissances que lui transmettent ses clients comme des "bénéfices marginaux"…

Que ce soit l’amusante Chanson des escargots qui vont à l’enterrement, ou les poignants Je suis comme je suis, La Grasse Matinée et Déjeuner du matin, les extraits choisis par Vézina sont agencés de manière à offrir une intéressante progression dramatique, en plus d’être interprétés avec fougue. Violette Chauveau donne une prestation à la hauteur de son remarquable talent, aussi admirable dans les passages espiègles que dans les moments fatalistes. Bien qu’il soit un conteur hors pair, Christian Vézina souffre inévitablement de la comparaison; les deux personnages qu’il incarne sont moins crédibles, plus caricaturaux. Martine Beaulne a servi d’oeil extérieur en conseillant le metteur en scène; Catherine Granche a réalisé la scénographie, les costumes et les accessoires.

Au final, ce qui impressionne le plus dans ce modeste hommage, c’est la beauté intemporelle de la parole de Prévert. Enfant du 20e siècle, il aura passé sa vie à dénoncer l’autorité, l’injustice, la guerre et les abus de pouvoir. À quelques jours du prochain Sommet des Amériques, les contestataires et les fidèles de la tradition anarchisante ne pourront qu’esquisser un sourire complice en entendant Christian Vézina se lancer dans la Tentative de description d’un dîner de têtes et dénoncer "ceux qui inaugurent, ceux qui croient, ceux qui croient croire, ceux qui croa-croa, ceux qui majusculent et ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler"…

Jusqu’au 7 avril
À la Salle Fred-Barry