Les scripteurs des humoristes : Des mots pour le rire
Scène

Les scripteurs des humoristes : Des mots pour le rire

En humour, une performance solo est l’aboutissement d’un travail collectif. Derrière les Huard, Anctil, Rousseau et Cie, on trouve une vingtaine de scripteurs qui travaillent dans l’ombre des vedettes sans en prendre ombrage. Tour  d’horizon.

Derrière les plaisantins qui vous font rire sur scène, s’active généralement une petite armée qui fourbit leurs blagues. Une armée de l’ombre. Si tous les humoristes mettent la main à l’écriture de leurs spectacles (en rédigeant eux-mêmes des numéros ou juste en dirigeant les brainstormings), la plupart emploient des scripteurs, dont le public ignore les noms et les visages. En voici quelques-uns…

"Les scripteurs fournissent des gags, la façon de les formuler, la structure. Ils rendent les humoristes drôles, finalement, rigole doucement Pierre-Michel Tremblay. Ça, c’est notre chicane amicale. Nous, on dit : "Les humoristes ne sont pas drôles, une chance qu’il y a les scripteurs. " Et les humoristes rétorquent: "Vous servez juste à arranger les jokes…""

En fait, la complicité qui lie le couple auteur-performer est très importante. Et même si les scripteurs travaillent souvent pour plusieurs humoristes, beaucoup affirment qu’ils ne pourraient pas écrire pour n’importe qui. "Moi, il faut que je sois en totale admiration devant l’artiste, qu’il m’épate. C’est sûr qu’il faut travailler pour des gens qu’on trouve drôles", juge Émile Gaudreault.

Et avec qui on partage des affinités humoristiques. Se transformant au fil des commandes, le scripteur doit être "capable de se mettre efficacement au service de l’univers de l’humoriste pour qui il écrit, sans trahir le sien, croit Pierre-Michel Tremblay. Normalement, un scripteur doit avoir une bonne culture générale et être capable de trouver l’angle comique de n’importe quel sujet. C’est vraiment l’art de naviguer entre ce qu’on est, notre propre style, et la commande." Des créatures souples et personnelles à la fois, ces scripteurs.

"On est des espèces de caméléons, avance René Brisebois. On se moule à l’artiste avec qui on travaille. Mais on essaie toujours de laisser un peu de nous-mêmes. En fait, ça dépend de notre relation avec l’humoriste. Il y en a qui sont hyper ouverts; d’autres qui savent exactement ce qu’ils veulent. Et plus tu es proche de l’humoriste, moins tu as d’inhibitions avec lui. Tu peux te livrer davantage. Ce qui fait que ça fonctionne, c’est difficile à expliquer. Un peu comme en amour ou en amitié: ça clique ou ça ne clique pas. Disons qu’on a à peu près la même façon de voir le monde."

En humour, une performance solo est généralement l’aboutissement d’un travail collectif. L’humoriste, les scripteurs et le script-éditeur (le scripteur en chef, qui dirige l’écriture et s’assure d’unifier le contenu du spectacle) se réunissent pour de fertiles séances de "tempêtes d’idées". Et si vous soupçonnez qu’on doit souvent s’y amuser ferme, vous n’avez pas vraiment tort…

"La plupart du temps, ça se fait dans le plaisir, la spontanéité, opine Pierre-Michel Tremblay. Il faut se laisser aller, être instinctif, sans pourtant perdre de vue qu’il faut noter ce qui se dit. Mais, parfois, il nous manque un gag pour finir un numéro et on cherche pendant une heure. Tout le monde est très concentré. Quelqu’un qui entrerait par hasard dans la salle et qui verrait ces trois ou quatre personnes très crispées ne s’imaginerait jamais qu’elles sont en train de travailler pour un humoriste…"

"On est payés souvent pour niaiser, admet pour sa part Brisebois. Les trois quarts du temps, on s’assoit et on discute. On prend un thème et on sort tout ce qui nous passe par la tête. Et à la fin du meeting, il y a toujours quelque chose qui reste. C’est génial. Imagine: tu t’enfermes avec deux ou trois bons amis, tu bois du café et tu jases. C’est aussi simple que ça. Tout le monde pense qu’on se roule à terre. Pantoute! C’est vraiment des discussions de la vie de tous les jours sur ce qu’on pense de tel ou tel thème. Il y a des fois où l’on a beaucoup de plaisir. Mais, à la fin, on n’a pas vraiment de bons numéros. On s’est fait rire entre nous, mais quand on arrive sur scène, ça tombe à plat… Quand tu écris un show d’humour, il n’y a pas de recette magique. C’est le public qui décide si c’est bon ou pas. En fait, 50 % du spectacle est écrit par la salle."

Des mecs comiques
Après le brainstorming, débute le dur et sérieux labeur des scripteurs qui consiste à pondre, chacun chez soi, blagues ou numéros… Ensuite, les scripteurs proposent, et l’humoriste dispose. "Ce métier demande beaucoup de générosité et d’humilité: la générosité afin de ne pas avoir peur de donner plein d’idées, et en même temps l’humilité d’accepter qu’elles ne soient pas nécessairement retenues", résume France Beaulé, l’une des quelques scripteures que compte la profession.

Car derrière comme devant les projecteurs, l’humour est encore surtout une affaire de testostérone. "Par contre, en écriture, c’est moins difficile pour une femme de faire son chemin, parce qu’il y a moins d’auteurs. Être une femme, c’est même presque un avantage, à l’occasion. Car on n’a pas la même vision des choses, sur le plan de l’écriture, plus il y a de gens différents, plus c’est intéressant parce que ça amène toutes sortes de perceptions."

Selon un complexe calcul, qui lui n’est pas de la blague, les scripteurs se divisent le pourcentage des recettes qui leur est alloué au prorata des gags de chacun finalement retenus dans le show! Et il faut souvent en noircir des pages pour composer un spectacle de deux heures. "Je dirais qu’en moyenne un gag sur 10 qu’on écrit se retrouve dans le show, évalue Pierre-Michel Tremblay. Il arrive qu’un gag soit bon, mais qu’il ne s’insère pas dans la logique du numéro, ou que l’humoriste n’ait pas envie de le dire. Parfois, ça discute fort. Mais le scripteur reconnaît que l’humoriste a le dernier mot. C’est lui qui va défendre le gag sur scène. Et même si moi je trouve ma blague très bonne, je n’ai pas intérêt à ce qu’elle soit mal servie par un humoriste qui ne la sente pas."

Heureusement qu’il y a le recyclage! Il n’est pas si rare qu’un scripteur qui s’est vu refuser un texte par un humoriste aille l’offrir à un autre, avec bien sûr le consentement du premier… Un scripteur débutant apprend vite à faire son deuil de son précieux matériel.

Peu importe qui a écrit les textes; sur la scène, c’est vraiment l’humoriste qui colore le spectacle par sa personnalité. C’est ce qui permet d’éviter l’uniformisation qui pourrait découler du recours par plusieurs performers au même petit bassin d’auteurs.

Selon Tremblay, "le scripteur devient à la fois une sorte de nounou, de référence et d’appui grâce auquel l’humoriste peut réfléchir sur ce qu’il fait. Pendant les premiers shows, c’est très important que le scripteur soit avec l’humoriste pour évaluer ce qui s’est passé, ce qui fonctionne ou pas".

Un métier ingrat?
Sortes de Cyrano soufflant leurs mots drôles à un Christian qui s’en va seul sur le balcon récolter les doux fruits de la gloire, les scripteurs assurent travailler dans l’ombre des vedettes sans en prendre ombrage. "Parfois, on fait des blagues là-dessus, sourit Pierre-Michel Tremblay. On s’autoflagelle beaucoup, les scripteurs. En se moquant de notre apparence, de notre timidité, du fait qu’on est là juste pour servir les humoristes… De la grande autodérision!"

Certains ont tâté de la scène juste assez pour se rendre compte que là n’était pas leur place. "Le scripteur se cache derrière un humoriste: ce n’est pas très impliquant, confie René Brisebois. Il y a même quelque chose de rassurant. Quand j’étais jeune, je trouvais ça un peu plus ingrat. Mais en même temps, j’aime beaucoup le côté anonyme. L’aspect mystification. Les gens pensent souvent que les humoristes écrivent tout. C’est intéressant, parce qu’alors on n’est pas catalogués. Et quand je m’assois dans la salle, que je vois le performer rendre exactement l’angle que je voulais et que ça fonctionne, mon thrill est là." Par contre, comme plusieurs de ses collègues, le coscénariste des Boys sent le besoin de mener en parallèle des projets personnels où s’exprime davantage sa singularité.

"Je pense qu’il y a une certaine frustration quand même, parce que les scripteurs ne font que des suggestions, estime Émile Gaudreault, un ancien du Groupe Sanguin, qui a connu les deux métiers. C’est l’humoriste qui est le boss. Et c’est normal, parce que c’est lui qui est sur scène. Le scripteur et l’humoriste ont besoin l’un de l’autre. Mais il y en a un des deux qui reçoit toute la gloire (rires). C’est un boulot très excitant, mais un peu frustrant parce que tu es un artiste, et que ton oeuvre doit passer par un filtre. C’est ce filtre-là que les gens vont admirer, et qui a le contrôle sur ce que tu crées."

Ce n’est pas pour rien que le scripteur-metteur en scène vient de réaliser son premier film, Nuit de noces. Beau retour des choses: après audition, il y a embauché un humoriste, François Morency. "Il fallait qu’il travaille dans ma vision du film. Et c’était moi qui décidais… "