Dominic Champagne : L’homme révolté
Entre Beckett et Deschamps, entre la ville et la campagne, DOMINIC CHAMPAGNE jongle avec les paradoxes de la civilisation moderne. Dans sa nouvelle création, La Caverne, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, il revisite le mythe de Prométhée. Le résultat? Une fable comique sur le cul-de-sac d’un monde qui se déshumanise à force de trop vénérer le progrès.
Il ne faut jamais sous-estimer les comiques. Si Luc Plamondon reconnaît que Clémence DesRochers a influencé son écriture, Dominic Champagne, de son côté, remercie humblement Yvon Deschamps. "C’est mon mentor, affirme le créateur de Cabaret Neiges noires. C’est lui qui m’a donné le goût du conte et de la fable. Depuis, je m’inspire de ses monologues pour raconter mes histoires fantaisistes."
Des histoires qui sont toujours des quêtes, des voyages, des récits initiatiques. Si le metteur en scène de L’Odyssée au TNM avoue chercher encore son style, il a trouvé depuis longtemps, dès Toupie Wildwood, le fondement de sa démarche artistique: les spectacles signés Champagne explorent surtout le grotesque de la condition humaine. Les éternels conflits entre raison et déraison, culture et nature, civilisation et barbarie, érudition et émotion.
À l’image de ce créateur en éternel questionnement, sa vie privée est aussi remplie de contradictions. "Chaque été, je pars avec ma famille me réfugier à la campagne. J’écris, je lis, je fais du canoë. Pendant 3 ou 4 mois, je suis isolé et je ne vois pratiquement personne. Puis, en septembre, je reviens à Montréal. Et, chaque fois, je me tape une petite dépression en replongeant dans la vie urbaine. J’oublie toujours à quel point les citadins sont speedés, mondains et superficiels…
"Ce choc m’a donné le goût d’écrire une pièce sur la civilisation moderne par rapport à la nature. Pour moi, un poète ou un auteur témoigne du monde dans lequel il habite. Or, je constate qu’il y a quelque chose de pourri dans le monde actuel. Et, malheureusement, nous nous sommes habitués à cette pourriture. Par exemple, le fait d’appartenir à une société affichant le taux record du suicide chez les mâles âgées de 20 à 40 ans me préoccupe, parce que je suis un homme, et le père de trois garçons!"
Dans La Caverne, une "fable anthropologique" et une "comédie préhistorique", Dominic Champagne avance l’idée que l’aventure de la civilisation peut nous mener au chaos. Sa prémisse: le mythe de Prométhée, ce héros qui a volé le feu aux dieux pour l’offrir aux hommes, leur permettant plus tard de se doter de la science, des arts et de la culture.
"On peut toujours relire son époque à la lumière d’un mythe, explique le fondateur du Théâtre Il va sans dire. Avec le feu, Prométhée procure les outils du confort et de la connaissance aux hommes. Mais les dieux condamnent son geste, car c’est un vol. Donc, dès son premier geste civilisé, l’homme est puni; tout comme il le sera après le geste d’Adam et Ève. À partir du moment où l’homme décide d’être maître de son destin, il commet une faute. Le geste qui permet l’aventure humaine nous a mis dans la merde. C’est là-dessus que, en tant qu’homme moderne et civilisé, je veux réfléchir…"
La Caverne illustre la théorie de Champagne de façon beaucoup plus simple. La pièce met en scène une famille préhistorique qui s’exile d’Afrique pour avoir un meilleur standing. La petite bande émigre sur la Côte d’Azur. Mais le fils ne se plaît pas dans sa nouvelle vie. En regardant les éclairs dans le ciel, il a l’intuition de prendre le feu dans ses mains pour se démarquer de la nature. Cet outil délivrera la famille des contraintes naturelles: les proies deviendront les prédateurs, les victimes s’approprieront le pouvoir. Mais l’invention du feu comporte aussi ses paradoxes: il peut réchauffer… mais aussi brûler!
"Au nom d’un monde meilleur, on sacrifie souvent des êtres humains, poursuit Dominic Champagne. On vit dans une société où l’on juge la qualité de l’être en fonction de ce qu’il fait. Un individu qui ne fait rien n’existe pas, socialement parlant. À l’opposé, il y a des gens qui font plein de choses mais qui s’enlèvent la vie très jeunes: Dédé Fortin, Gaétan Girouard… C’est peut-être parce qu’en faisant trop de choses, l’être humain se coupe de sa vraie nature…
"Dans l’Antiquité, le Cynique Diogène affirmait que la raison avait ses limites, parce que la nature humaine était imparfaite, et qu’il fallait l’accepter. Les cyniques ont une position philosophique avec laquelle je suis très à l’aise. Car je me définis comme un idéaliste pratique.
"Prométhée, conclut Champagne, c’est la figure fondatrice de l’homme révolté. Il faut être critique à l’égard du monde dans lequel on vit. La désobéissance n’est pas le monopole d’une époque ou d’une génération. Pour moi, c’est la job de l’artiste de suggérer un monde meilleur."
Dans son aventure vers un monde meilleur proposée avec La Caverne, le metteur en scène s’est entouré des comédiens Jean-François Casabonne, Julie Castonguay, Nathalie Claude, Julien Poulin et Miro, ainsi que d’une dizaine de musiciens et de concepteurs.
Du 17 avril au 12 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui