Jean-Louis Benoit : Le visiteur
Scène

Jean-Louis Benoit : Le visiteur

Installé ici temporairement depuis fin février, où il est venu diriger Les Fourberies de Scapin, le metteur en scène français Jean-Louis Benoit s’étonne encore de certaines particularités locales.

Installé ici temporairement depuis fin février, où il est venu diriger Les Fourberies de Scapin, le metteur en scène français Jean-Louis Benoit s’étonne encore de certaines particularités locales. Notre hiver qui n’en finit pas de finir, par exemple, mais principalement de nos pratiques théâtrales…

"Ce qui m’a passionné dans cette expérience unique, c’est de voir les différences dans les façons de procéder. Et ce qu’il y a surtout de différent, c’est le statut de l’acteur de théâtre. Ici, faire du théâtre, pour un comédien, c’est quasiment un luxe. Si bien que je suis en présence d’acteurs qui travaillent ailleurs pour pouvoir faire du théâtre. Ça rejaillit sur les emplois du temps, c’est très compliqué. Et ils sont obligés de travailler vite. Ce sont des acteurs rapides. Ils ont deux heures à vous consacrer dans la journée, et pas 5 minutes de plus. Donc, il faut que vous ayez vous-même les idées très claires (rires)."

Heureusement, Jean-Louis Benoit connaît la pièce de Molière à fond. Il l’a montée avec grand succès pour la Comédie-Française – dont il est un collaborateur régulier – en 1997, récoltant les Molière de la meilleure mise en scène et du meilleur spectacle de répertoire. Recruté par le Théâtre du Rideau Vert, cet artiste très polyvalent (auteur, scénariste, réalisateur…) "reproduit" donc, avec des acteurs québécois, son point de vue sur un texte qu’il décape de sa réputation de pièce mineure.

"Je pense qu’un grand auteur se retrouve dans tout ce qu’il a écrit, réfute Jean-Louis Benoit. Et Les Fourberies, je crois que c’est la pièce la plus méconnue de Molière. Elle fait partie de ces oeuvres que tout le monde croit connaître, mais que personne ne connaît vraiment. C’est aussi celle qui a été la plus malmenée, adaptée à toutes les sauces. Je dirais que cette pièce n’a jamais été prise au sérieux."

Il a donc décidé de prendre la farce sérieusement. "Et on s’est rendu compte que c’était une pièce très humaine; une comédie teintée de farce, mais aussi une pièce féroce, grave. La gravité est toujours présente chez Molière, même dans ses farces. C’était un pessimiste." Dans ce spectacle en rupture entre le rire et l’émotion, le metteur en scène a cherché un "équilibre entre l’humanité, la gravité et la farce", et dépouillé les personnages de leurs manteaux d’archétypes.

Notamment Scapin, dont "la tradition de la commedia dell’arte a toujours fait un personnage bondissant, léger". Benoit le voit vif et habile, certes, mais aussi cruel et lâche. Avec quelque chose de lourd. "Le personnage lui-même a très peu de traits d’humour. Les situations qu’orchestre Scapin sont très drôles, mais lui est assez sombre. Il n’aime pas son époque, comme Molière. Et il a fait de la prison, il a été souvent frappé, il a volé… C’est un personnage un peu louche, mais qui a du coeur. C’est ce qui le sauve. Il est désintéressé."

Le Français voit surtout la tragédie dans la solitude du rusé valet. "Il est seul, et extrêmement méprisé par les maîtres. Et je crois que c’est une pièce traversée par la mort (elle se termine par la mort feinte de Scapin). N’oublions pas que Molière l’a écrite et jouée deux ans avant son décès, alors qu’il était malade."

Jean-Louis Benoit cherchait donc chez l’interprète de Scapin une certaine gravité mariée à un sens du comique. Après auditions, il a jeté son dévolu sur Marcel Leboeuf. Sa distribution compte aussi Anne Dorval, Claude Prégent, Isabelle Blais, Pierre Collin

Au départ, le metteur en scène avait abordé la pièce comme si c’était la première fois qu’il la lisait. "Je constate, par exemple, que dans toutes les scènes de Scapin, il y a un personnage en colère. C’est une pièce de gens en fureur. Alors pourquoi n’est-ce pas monté comme ça? Moi, je crois que beaucoup de mes prédécesseurs ont mal lu la pièce. Parce que c’est une oeuvre qu’on a l’habitude de monter. Et la tradition engendre la paresse."

Du 17 avril au 12 mai
Au Théâtre du Rideau Vert