L'Affaire Dumouchon : Portrait de famille
Scène

L’Affaire Dumouchon : Portrait de famille

Siège de toutes les incompréhensions et des traumatismes originels, la famille a pris un méchant coup de varlope au cours des dernières décennies. Et ce n’est pas la nouvelle pièce de Lise Vaillancourt, une caricature de l’institution jadis sacro-sainte, qui va la réhabiliter…

Dans les mots de Michel Tremblay, c’est une "cellule de tu-seuls". Siège de toutes les incompréhensions et des traumatismes originels, la famille a pris un méchant coup de varlope au cours des dernières décennies. Et ce n’est pas la nouvelle pièce de Lise Vaillancourt, une caricature de l’institution jadis sacro-sainte, qui va la réhabiliter…

Qu’est-ce qui nous unit, outre les arbitraires liens du sang? Dans L’Affaire Dumouchon, créée à La Licorne, l’auteure de Billy Strauss interroge la filiation à travers un impossible noyau familial. Après quatre années d’errance, Nathalie (Macha Limonchik), une artiste "marginale" qui performe dans les bars, retrouve par hasard son géniteur, et voit bientôt débarquer à sa suite toute la smala, qu’elle observe tels d’étranges étrangers.

Des personnages stéréotypés que l’auteure semble avoir voulus aussi dissemblables que possible: le fils pataud, un boucher (sa soeur flyée est bien sûr végétarienne!) que sa conjointe vient de quitter; le père un peu mollasson, qui s’est résolu à peindre des "cabanes canadiennes" pour faire vivre une famille dont il ne voulait pas (Nathalie, elle, est une artiste sans compromis); la mère, ex-mannequin, issue d’un petit village, attachée aux conventions et horrifiée par les tenues excentriques de sa fille.

Pour illustrer l’isolement de chacun au sein de cette communauté imposée qu’est la famille, le texte progresse surtout à coups de longs monologues, où chaque personnage débite une logorrhée rapide qui interdit les échanges. La dramaturge semble avoir peu d’indulgence pour cette parenté aux défauts accusés et aux discours souvent ridicules. Certes, le fils (Denis Roy) a droit à une scène grave permettant davantage d’empathie, et nous, à un tableau plutôt touchant à la fin, alors que la tendresse maternelle se manifeste un peu tardivement…

Mais le portrait de famille est chargé – et plutôt injuste -, comme si une fille d’aujourd’hui faisait le procès d’une certaine famille traditionnelle (qui semble parfois sortie tout droit des années 50, avec le discours anti-féministe maternel), assortie d’un père qui refuse la paternité et d’une mère aveuglée par ses préjugés. En finale, L’Affaire Dumouchon dresse le dur constat d’une cassure entre les générations, illustrant l’incompréhension des uns devant les choix et les modes de vie des autres.

Avec un bouleau et un chevreuil en plastique sur scène, et des projections de paysages en arrière-plan, le spectacle semble d’ailleurs revisiter avec ironie un certain patrimoine national. La forme n’est pas l’élément le moins intéressant de cette curieuse pièce, qui dérive de la caricature au drame, et à laquelle le metteur en scène Martin Faucher a su imprimer un ton insolite et burlesque.

Tout se passe comme si Nathalie évoluait dans un cauchemar, ou un "mauvais film", pour reprendre ses mots. La performeuse met en forme ses interrogations familiales par le biais de chansons parlées (sur des musiques atmosphériques de Michel F. Côté et Larsen Lupin) et de "films sonores", au ton vaudevillesque assez décapant de vieux polars français. Des prestations dont Macha Limonchik se tire talentueusement, même si les mises en situation où elle s’interviewe elle-même donnent parfois lieu à un cabotinage assez agaçant.

Les autres interprètes s’acquittent bien de leurs rôles typés, surtout Vincent Bilodeau, qui prête la rondeur de son jeu dépouillé mais puissant à un rôle qui lui est échu il y a à peine un mois, et Monique Miller, maîtrisant une composition précise et saccadée.

Autrement, le discours qui sous-tend ce portrait de famille grossi ne pèche pas par excès d’originalité. La famille en a vu bien d’autres…

Jusqu’au 19 mai
À La Licorne