Les Fourberies de Scapin : Le clown est triste
Scène

Les Fourberies de Scapin : Le clown est triste

En revisitant Les Fourberies de Scapin, Jean-Louis Benoît désirait porter à notre attention le côté sombre, psychologique et contemporain de ce personnage de valet créé par Molière en 1671.

En revisitant Les Fourberies de Scapin, Jean-Louis Benoît désirait porter à notre attention le côté sombre, psychologique et contemporain de ce personnage de valet rusé, de la comédie italienne, repris par Molière en 1671, soit deux ans avant la mort du célèbre dramaturge. Pour le metteur en scène français, Scapin est un être "seul et mélancolique" qui s’adresse aux femmes et aux hommes du XXIe siècle.

Entre les répliques comiques de ce Scapin, campé avec honnêteté mais non sans maladresses (surtout sur le plan de la diction) par le comédien Marcel Leboeuf, on peut voir des figures: un clochard moderne, un Charlot, le Vladimir de Beckett, ou simplement une âme à la dérive errant sur la scène (au début et à la fin de la pièce). Comme si Scapin, à force de se payer la tête des autres, prenait soudainement conscience de son désespoir et de son vide.

Si le pari était intéressant, on ne peut pas dire qu’il soit complètement gagné à la lumière de la production actuellement à l’affiche du Théâtre du Rideau Vert. Le piège de cette relecture tient à la nature même de l’oeuvre: Les Fourberies de Scapin est une farce à la fois grave et légère, mais une farce; pas un drame existentiel. À l’instar de la plupart des comédies mineures de Molière, le rire est au service de la bêtise humaine. Sans plus. Le moteur dramatique de l’oeuvre tourne autour d’une série de quiproquos, certains assez idiots. À la fin, le fourbe Scapin nous aura prouvé surtout le caractère fier et vaniteux de l’âme humaine, qui préfère le mensonge à la vérité, la flagornerie à la sincérité.

La scène centrale de l’oeuvre, celle du sac, nous montre Scapin rouant de coups de bâton Géronte (Claude Prégent, assez juste), un vieillard pingre et suffisant enfermé dans un sac… On a beau insuffler une dose de psychologisme, très 20e siècle, dans tout ça, cela reste un bouffon qui donne des coups de bâton à un vieux con pour faire rire le public. C’est là, à mon avis, où la proposition de Jean-Louis Benoît fait fausse route: elle ajoute des traits de caractère étrangers au personnage.

En contraste, le metteur en scène a laissé leur légèreté aux autres protagonistes qui sont incarnés par une solide distribution. Ce qui nous donne les meilleurs moments de ce spectacle: on est alors dans un Molière drôle, efficace et sans prétention.

La prestation de Guy Jodoin, qui rend avec grande finesse la préciosité et la couardise de son Octave, m’a particulièrement frappé. Ce comédien a décidément l’étoffe des rôles classiques. Anne Dorval offre une sulfureuse Zerbinette rappelant une Carmencita des faubourgs. Sa composition est solide, agréable et très drôle. Roger La Rue, Pierre Collin et Isabelle Blais sont tous excellents. Et Charles Lafortune fait mentir l’adage selon lequel un succès précoce à la télévision peut "déformer" l’acteur dramatique: son Léandre est fin et subtil.

Pour sa part, Marcel Leboeuf se donne beaucoup. Mais il me semble avoir été mal dirigé, oscillant entre le cabotinage (son "rabbit" au milieu de la scène du sac est assez gratuit!) et l’intériorité. Souhaitons qu’au fil des représentations, le comédien arrive à mieux doser son jeu.

Jusqu’au 12 mai
Au Théâtre du Rideau Vert