Les Rustres : Tour de force
Scène

Les Rustres : Tour de force

Il y a 250 ans, le charme à l’italienne s’exerçait d’une bien drôle de façon… si l’on se fie à la description ironique qu’en fait Carlo Goldoni dans Les Rustres.

Il y a 250 ans, le charme à l’italienne s’exerçait d’une bien drôle de façon… si l’on se fie à la description ironique qu’en fait Carlo Goldoni dans Les Rustres. Dans cette "farce violente", le Molière italien met en scène quatre couples, microcosmes d’une société ultra machiste dans laquelle les femmes, confinées à la maison, étaient traitées comme des trésors (ou des potiches!) tenus loin des regards envieux. Une réflexion juste et bien tournée sur l’abus de pouvoir, que dynamise la mise en scène enlevante d’Isabelle Pastena.

"Avec les bonnes manières, on n’arrive à rien. Il faut crier!" Homme d’affaires prospère pour les uns, brute jalouse pour sa femme, Lunardo veut marier sa fille avec le rejeton d’un commerçant tout aussi borné que lui. Cela, sans que les deux principaux concernés ne soient avertis et, surtout, sans leur permettre de faire connaissance, ce qui pourrait leur donner envie de faire des bambini avant le temps… Heureusement, les tendres moitiés de ces rustres veilleront à offrir à la jeune Lucietta l’occasion de vérifier si son futur époux a plus d’esprit que son géniteur. Des manigances qui risquent de coûter cher aux Vénitiennes insoumises…

La metteure en scène de cette comédie italienne a eu une idée géniale en permettant aux comédiens de s’échanger leurs personnages. Cela se fait de manière subtile au début, alors que deux comédiennes intervertissent leurs rôles, puis le jeu s’intensifie, jusqu’à ce que les comédiens s’emparent des rôles féminins et vice versa, ce qui ajoute une dimension comique aux tyrannies présentées.

Les personnages se trouveront même dédoublés dans une scène, chacun étant interprété par deux comédiens de sexe différent. Grâce aux costumes de Vincent Pastena, qui s’enfilent en un tour de main, les comédiens peuvent changer d’identité en quelques secondes. Ce qu’ils font dans un crescendo de métamorphoses qui va de pair avec une accélération du rythme de la pièce. Le délire est tel qu’à un certain moment, les décors en tremblent! Pas étonnant qu’Isabelle Pastena compare cette production à un manège devenu fou…

D’une grande polyvalence, les comédiens Marcelo Arroyo, Céline Brassard, Caroline Clément, Johanne Lebrun, Sandrine Mézerette, Nicolas Sacchitelle et Claude Tremblay offrent des prestations physiques impressionnantes. Il faut voir le méchant Lunardo, chaussé de pantoufles, se déplaçant dans sa demeure comme un patineur de vitesse, pour le croire… Parmi les autres flashs inventifs glissés dans la pièce, mentionnons ce moment ou Felipetto se glisse dans les bras de sa tante et qu’ils prennent, tout en se parlant, une pose qui rappelle étrangement une oeuvre de Michel-Ange.

La metteure en scène diplômée de l’UQAM (elle y a monté une version des Rustres) a consulté cinq traductions, jugées trop proprettes, du texte écrit dans un dialecte vénitien, avant d’en effectuer elle-même une traduction plus brute, dont le style coloré est à l’image de cette farce vivifiante mettant en scène des femmes hardies et solidaires.

Jusqu’au 5 mai
Salle Fred-Barry