Monsieur Bovary : L’auteur et son double
"Madame Bovary, c’est moi", se plaisait à dire Flaubert. Voilà le grand auteur du XIXe siècle transformé en Monsieur Bovary, sous la plume admirative et enjouée de ROBERT LALONDE.
Romancier, comédien et auteur de la pièce Monsieur Bovary ou comme si j’avais dans l’âme un troupeau de bêtes féroces, Robert Lalonde nous y fait découvrir "le créateur harcelé par son propre travail". Il explique: "Le pauvre est agonisant pendant toute la durée de la pièce; c’est comme si on assistait, au ralenti, à tout ce qui défile dans la tête de quelqu’un qui meurt. Flaubert est en proie, de façon totalement irrationnelle, aux gens qu’il a connus, aimés, détestés, en même temps qu’à ses personnages, qui le harcèlent dans une espèce de délire."
Aucune prétention biographique dans le spectacle, que met en scène Lorraine Pintal: on y entre dans l’imaginaire de l’écrivain. "Flaubert est au centre de l’action. Tout passe à travers lui, qui devient le narrateur, en quelque sorte. Sur scène, pas de murs, pas de meubles: tout se déroule dans sa tête. La scène est comme un immense castelet où les personnages apparaissent et disparaissent."
Transformer un célèbre écrivain en personnage… Si la proposition est pleine de fantaisie, la matière des dialogues révèle des traits véritables, bien que mal connus, de Gustave Flaubert. "J’avais lu les romans de Flaubert; mais je ne me doutais pas de ce que j’ai découvert dans sa correspondance de 3000 pages, publiée après sa mort, confie l’auteur. Ce bonhomme, qui ne voulait être nulle part dans ses livres, s’investit totalement dans ses lettres, qu’il écrit à tout le monde, pour exprimer tout ce qu’un créateur peut avoir à dire à une société bourgeoise. On y découvre un penseur sur l’art et un enragé à l’indignation joyeuse." Plaisir supplémentaire, Flaubert y apparaît comme "un personnage très théâtral: il s’indigne, crie, pleure, s’apitoie, fustige les gens". Impossible de résister à l’envie de lui offrir une tribune…
Au cours de la pièce défileront des figures marquantes de la vie de l’auteur, incarné par Gilles Renaud. Parmi elles, des personnages: Emma Bovary, sa préférée, Bouvard et Pécuchet, les "maîtres de cérémonie qui se moquent joyeusement de lui". On y verra aussi des amis, dont les écrivains Maupassant et George Sand, dessinés "en me basant beaucoup sur les échanges épistolaires de Flaubert avec eux", assure Lalonde. Outre la réflexion sur l’art, le dramaturge apprécie la franchise de leurs échanges, qui contraste fortement avec la retenue, sinon l’hypocrisie, qu’impose souvent notre ère de "rectitude politique"… "À l’époque, avance Robert Lalonde, on se disait des choses à la figure, sans crainte de se blesser. Ce n’est pas toujours le cas maintenant: on se modère ou on se tait, de peur de déplaire, de se rendre impopulaire. Flaubert et son entourage avaient un autre type de rapport. Flaubert et Maupassant, par exemple, se montrent parfois très durs l’un envers l’autre, même s’ils s’aimaient énormément."
"Tous ces personnages sont mal à l’aise avec les bien-pensants; ils sont impitoyables par rapport à la société." De plus, ces auteurs sont "un peu les fondateurs de la modernité. Avec eux, le roman cesse d’être éducatif, moral; leurs oeuvres montrent des personnages qui sont le produit de leur société. C’est le début d’une littérature qui est un miroir; ça, ça m’intéresse beaucoup. Surtout à une époque où on a parfois tendance à faire en sorte que l’art soit exemplaire, propre…"
Influencé par son expérience du jeu, Robert Lalonde, en écrivant, travaille parfois à voix haute, "pour vérifier le rythme, la sonorité". Comme le faisait Flaubert pour ses romans, il a lui aussi fait passer sa pièce par ce que l’écrivain appelait "son gueuloir"…
Jusqu’au 18 mai
Au Grand Théâtre
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