Critique: Monsieur Bovary : Robert Lalonde
Scène

Critique: Monsieur Bovary : Robert Lalonde

Robert Lalonde annonçait, dans sa pièce Monsieur Bovary ou comme si j’avais dans l’âme un troupeau de bêtes féroces, la rencontre de Gustave Flaubert, agonisant, avec les principaux personnages de sa vie, dans un mouvement délirant. Le délire est au rendez-vous; énergie, finesse d’esprit et fantaisie soufflent aussi sur le spectacle.

Jusqu’au 18 mai
Au Grand Théâtre

Robert Lalonde annonçait, dans sa pièce Monsieur Bovary ou comme si j’avais dans l’âme un troupeau de bêtes féroces, la rencontre de Gustave Flaubert, agonisant, avec les principaux personnages de sa vie, dans un mouvement délirant. Le délire est au rendez-vous; énergie, finesse d’esprit et fantaisie soufflent aussi sur le spectacle.

Un décor rouge, estrade surélévée au plancher en pente et aux murs de biais, ouvert sur un espace arrière; à l’avant, quelques strapontins et la chaise de travail de Flaubert. Le tout, évoquant un étrange castelet, est sciemment théâtral: dans son délire, Flaubert apprend avec effroi qu’il est au théâtre – ô horreur, pour lui qui méprise cet art. La scénograhie évoque l’enfer de la représentation, l’enfer aussi, on le dit, de la postérité.

Le décor, muni de trappes et d’estrades mouvantes, montre l’imagination de l’auteur et ce qui s’y joue. Des personnages divers, venus converser avec l’écrivain, surgissent d’un peu partout. Certains, déjà morts à l’époque de son décès, George Sand, son ami Louis Bouilhet, sa maîtresse Louise Colet; des vivants, sa nièce, Maupassant, Tourguéniev; des personnages créés par Flaubert, Salammbô, Bouvard et Pécuchet, Emma Bovary; s’y ajoutent d’étranges personnages musiciens, aux mélodies grinçantes. Incursion folle dans le désordre d’un esprit fertile, mise en scène avec vivacité par Lorraine Pintal, on y discute amour, amitié, création; on y "casse du bourgeois", on y jure à profusion. Le tout encadré par un procès factice, souvenir cauchemardesque du véritable procès intenté à Flaubert pour immoralité avec son roman Madame Bovary, et prétexte à faire "comparaître" tous ces êtres.

Impatient, flamboyant, Flaubert étonne avec ses sautes d’humeur et ses jurons, cassant la statue tranquille du monstre sacré pour devenir être de chair, de tourment, et d’esprit volontiers caustique. Campé par un Gilles Renaud de stature imposante, le personnage est énorme. Lui font face des comédiens de grand talent, au jeu impeccable dans ce tourbillon: Marie Tifo, Jean-Jacqui Boutet, Jacques Leblanc, Patricia Nolin, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Gabriel Sabourin, Lou Babin, Edith Paquet.

Le texte de Robert Lalonde est d’une grande érudition, multipliant les références littéraires sans jamais tomber dans le pédantisme, plein d’esprit et d’humour. Un regret, cependant: que le texte, qui faisait quatre heures à la première lecture, n’ait pas été écourté davantage. Sa richesse et sa densité commanderaient qu’on en réduise un peu la dose; l’allégement le rendrait plus facile à ingérer et par là, à savourer.

Fou, beau, brillant: tel est le troupeau galopant dans l’âme d’un auteur dont on a grande envie, au sortir du spectacle, de lire ou de relire les oeuvres.