Gilles Maheu : Le temps des gitans
Scène

Gilles Maheu : Le temps des gitans

Après Notre-Dame de Paris, GILLES MAHEU revient chez lui, à l’Usine C, pour signer la mise en scène de Silences et Cris, sa 17e création avec Carbone 14. Un show sur le bonheur.

"Il y a sûrement des artistes qui créent dans le bonheur. Moi, j’en connais pas! Si je deviens équilibré, je vais arrêter tout simplement de créer…"

C’était en 1992, au World Stage Festival de Toronto. Au lendemain d’une première chaotique, le créateur du Café des aveugles se confiait à Voir. Gilles Maheu pratiquait alors son sport favori: le doute.

Dix ans plus tard, Gilles Maheu court toujours après ce sacré bonheur. Et devinez quoi? Il l’a presque trouvé! "La prémisse de mon nouveau spectacle, Silences et Cris, c’est justement le bonheur. La vie commence par un cri et finit par un silence. Entre les deux, il y a une quête de bonheur. Et souvent, on l’oublie. Parce qu’on est trop occupé ailleurs. Moi-même, j’ai longtemps fui dans les voyages, le travail. Je n’étais pas heureux. Un jour, je me suis enfin arrêté pour prendre le temps. Et j’ai réalisé qu’on pouvait être actif tout en étant immobile."

Cette introspection lui a permis de découvrir des choses en lui, comme la tendresse. "J’ai beaucoup de tendresse et de féminin en moi, dit le directeur de Carbone 14. Des sentiments tabous aux yeux de bien des hommes. Et je trouve que notre société manque beaucoup de tendresse, d’humanité. Je pense qu’il y a un appauvrissement de la qualité des rapports humains depuis quelques années."

Pour Gilles Maheu, Silences et Cris, qui prendra l’affiche de l’Usine C en première mondiale, le 9 mai, est un spectacle avec beaucoup d’humanité et de solidarité. "Je mets en scène une troupe de gitans" (incarnés par des danseurs et des acteurs dont Jean-François Blanchard, Jeff Hall, Yves Simard, Lin Snelling et Georges Molnar…). Selon le créateur, ces gitans sont un peu comme ce que devraient être les artistes: "Des gens hors norme et hors codes, sans passeport ni frontières, en quête de liberté, et qui ont le temps de s’amuser, de fraterniser et de profiter de la vie."

Silences et Cris ne ressemblera toutefois pas à La Mélodie du bonheur… Gilles Maheu a beau parler du bonheur, il ne peut chasser son naturel. Il touche également à des zones d’ombres – la guerre, le racisme, la violence, l’angoisse -, ses vieux démons qui le hantent depuis Pain blanc, son premier show pour Carbone 14, voilà 20 ans déjà.

L’homme invisible
Si le citoyen Maheu se révolte toujours contre les injustices sociales et la folie du monde, l’artiste, lui, est entré dans une période de réconciliation. Sa peur ultime, la mort, l’un des moteurs de son langage scénique (le metteur en scène a créé un tourbillon d’images et de gestes pour mieux défier le vide et la mort), ne l’effraie plus à 53 ans. "Je n’envisage plus la mort comme une fin, dit-il. Quand les êtres élargissent leur rapport au temps, la mort devient moins dramatique. Sans devenir religieux, il ne faut pas évacuer la spiritualité. C’est clair que l’invisible existe, que le mystère existe. Or, notre société a tendance à sacrifier le mystère de l’autre. Elle le classe dans une case, un groupe social: le riche est pourri; le pauvre est victime; l’homosexuel est comme ça… Foutaise! Il y a des pauvres crétins, des riches corrects, et des gais très straight…"

À cause de l’énorme succès mondial de Notre-Dame de Paris, Gilles Maheu a lui aussi été classé, par une élite culturelle, dans un groupe: celui des artistes populaires qui ont vendu leur âme à l’argent. "Si j’avais fait L’Odyssée au TNM (un spectacle tout aussi populaire), ç’aurait été correct, réplique le metteur en scène. Mais parce que je rejoins des millions de personnes au lieu de 50 000 spectateurs, on me reproche d’avoir abandonné Carbone 14… Au Québec, on est rapidement un héros ou un zéro. Pour ma part, j’estime être quelque part entre les deux."

"J’ai fait du théâtre de rue pendant quatre ans au début de ma carrière, avec Les Enfants du paradis; une forme artistique populaire par définition. Depuis, j’ai toujours cru que mon travail était accessible au plus grand nombre. Mon but, c’est de créer un théâtre populaire abstrait. Et je crois l’avoir fait avec Notre-Dame de Paris. Tellement que les Américains à Las Vegas ne le trouvent pas assez réalistes pour un musical! Je n’ai fait aucune concession artistique."

Qu’avez-vous appris grâce à l’expérience de Notre-Dame de Paris? "Curieusement, j’ai appris à devenir plus humain. C’est drôle, l’avant-garde est souvent très froide dans sa représentation. Or, avec Luc Plamondon et Richard Cocciante, je me suis familiarisé avec un genre artistique dans lequel l’émotion est à l’avant-plan. Et qu’est-ce que la culture, sinon l’expression des émotions?"

Pour un homme reconnu pour ses spectacles sans paroles, dans la vie, Gilles Maheu parle d’abondance. "Je réalise que Silences et Cris est mon spectacle contenant le plus de paroles. Ma prochaine étape, c’est peut-être une vraie pièce de théâtre avec des dialogues… À chaque spectacle, je me demande si je suis encore un artiste. Alors, j’essaie d’ouvrir d’autres portes pour créer des formes artistiques nouvelles, un nouveau monde bâti à partir de mes rêves. Mais le doute est toujours là."

"À l’image de mon théâtre, il y a un côté très cérébral et un aspect lyrique chez moi. Je me sens bien avec ce paradoxe. De toute façon, on ne peut pas vivre sans paradoxes. Et pour moi, la création, c’est un éternel combat pour régler ses contradictions."

Du 9 au 26 mai
À l’Usine C