Les 25 ans du Gros Mécano : Jeu de construction
Il est loin le temps où théâtre jeunesse rimait avec ballons, gymnase et brouhaha. Figurant parmi les plus anciennes compagnies de théâtre jeunesse au Québec, le Théâtre du Gros Mécano fête cette année ses 25 ans. ANDRÉ LACHANCE et REYNALD ROBINSON mesurent le chemin parcouru.
Il était une fois…
Si, au cours de ses premières années, le théâtre pour enfants tient souvent davantage de l’animation que du théâtre, cette forme artistique explose dans les années 70 pour se développer ensuite rapidement, suivant de près, par là, le mouvement général de la création théâtrale au Québec. Lors de sa fondation en 1971, le Théâtre du Trident compte un volet jeunesse; innovateur dans le domaine, le Trident invite les jeunes à sortir de l’école pour venir vivre, en salles de spectacle dotées d’un équipement technique adéquat, une véritable expérience théâtrale. Le ton est donné, le mouvement, lancé. Le théâtre jeunesse québécois, après ses premiers balbutiements, s’organisera et se développera jusqu’à atteindre ce qu’il est maintenant: un théâtre de grande qualité, fruit du travail sérieux des créateurs et artisans du milieu, forme artistique qui a gagné la confiance des enseignants et du grand public et qui donne l’occasion aux enfants de se découvrir, de mieux comprendre leur monde, tout en explorant des univers colorés de toutes les fantaisies.
Des créateurs
C’est en 1976 que le Trident se départit de son volet jeunesse, après avoir délaissé le volet recherche deux ans plus tôt, afin de se concentrer dorénavant sur sa mission répertoire. Forts de leur expérience et désireux de poursuivre le travail enclenché, des artistes fondent, en novembre de la même année, le Théâtre du Gros Mécano.
Pas très loin, dans les souvenirs d’enfance de plusieurs Québécois, dort un jeu de mécano qui, avec ses pièces, ses roues et ses engrenages, ne donnait à la construction que l’imagination pour limite. Rien à voir avec l’expression populaire désignant en France un mécanicien; ce qui ne cesse, à chaque tournée de la compagnie, d’étonner nos "cousins"… Le Gros Mécano: un jeu d’invention géant, permettant de construire des mondes imaginaires, en "montant" des pièces de théâtre à même les outils fournis par le talent des artistes et les rouages de la scène.
Le Théâtre du Gros Mécano se définit comme une compagnie qui "favorise un théâtre populaire, accessible, ouvert à diverses approches de contenu et de forme". Un ami dans le frigo, Le Secret couleur de feu, La Maison bleue, L’Orchidée, Boléro… Depuis sa fondation, le Gros Mécano a produit 34 créations originales, jouant 2 352 représentations devant quelque 610 000 spectateurs…
Des convictions
Le Gros Mécano, dès sa fondation, se donne des mandats clairs, regroupés à l’époque dans un véritable manifeste, nous rappelle André Lachance, directeur artistique de la compagnie depuis 20 ans. "À l’époque, on voulait faire table rase des choses qui étaient alors présentées en milieu scolaire. On voulait monter des spectacles tenant compte de l’actualité, de la réalité des enfants. Pas uniquement des spectacles de fantaisie, de divertissement; des spectacles qui fassent réfléchir, exposent des situations qui sont vécues par les enfants, la plupart du temps en silence. Les gens voulaient vraiment, au Gros Mécano, devenir des porte-parole de l’enfance." Dès le début, l’imaginaire occupe également une place de choix dans le travail; on souligne son importance, à tout âge, sa puissance.
Vingt-cinq ans plus tard, qu’en est-il? "Il n’y a pas eu, dans le discours de la compagnie, de dérogation fondamentale. Par contre, ce qui a changé beaucoup, en 25 ans, c’est l’environnement politique et social. La réalité n’est plus la même aujourd’hui; nos spectacles ont nécessairement connu des orientations particulières à cause de ça."
Reynald Robinson, auteur, metteur en scène et comédien, artisan de la première heure au Gros Mécano, est actuellement conseiller dramaturgique après y avoir été directeur artistique pendant quelques années. Deux grandes inspiratrices, Alice Miller et Françoise Dolto, que Robinson admire profondément, ont marqué son travail, et en partie celui de la compagnie. "Ce que j’ai retenu de plus important chez Alice Miller, c’est qu’elle dit que peu importe ce qui peut arriver à un enfant, quand cet enfant a reçu un seul coup d’oeil de compréhension d’un adulte, il a 90 % des chances de faire ensuite une bonne vie. Ça m’a bouleversé. Et je me suis dit que c’est une chose que le théâtre devrait faire, ne fût-ce que pour un enfant dans la salle. C’est tellement important. Si au moins je peux soulager un enfant par année, je serai content de moi. C’est ça le travail du théâtre pour enfants: dans le fond ce qu’on aime, c’est être utile."
Au cours des années, la compagnie a approfondi sa démarche artistique. "On a eu des discussions de fond sur ce qu’était le théâtre pour enfants, sur le contact à établir avec eux. La reconnaissance artistique est pour nous au second plan. On ne fait pas un spectacle en pensant qu’on va briser les formes théâtrales; on pense d’abord au public. C’est toujours important pour nous que les enfants reçoivent un spectacle qui soit pensé en fonction de leur âge, de ce qu’ils sont. Ce sont les enfants qui comptent."
Des histoires
Le théâtre jeunesse s’intéresse aux préoccupations des enfants, aux transformations de la société. Les thèmes abordés ont-ils changé, en 25 ans? "Maintenant, observe Reynald Robinson, on a une liberté plus grande, possible grâce à la confiance bâtie au fil des années, au rôle important et à la grande qualité reconnus au théâtre jeunesse. Aujourd’hui, on crée en fonction du cheminement des artistes, et de ce qu’on observe autour de nous."
Des exemples? Un des grands succès de la compagnie, créé au printemps 1982, fut le spectacle Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon: un conte portant sur le sexisme, racontant l’histoire d’un "garçon manqué". Une des dernières créations du Gros Mécano, L’Orchidée, traite de situations contemporaines. Au menu: famille éclatée, perte d’emploi, rupture amoureuse…
Comment s’y prend-on pour aborder les sujets délicats qui ne manquent pas de se présenter? "On a, confie André Lachance, une grande responsabilité: parce qu’on sait que les enfants sont très perméables, il faut faire attention à ce qu’on leur dit, et à la manière de leur dire."
Robinson complète: "Il ne faut pas exiger, comme il y a eu longtemps au théâtre, un résultat immédiat; que lorsque les enfants sortent du spectacle, la question soit réglée. Les enfants ne sont pas obligés de tout comprendre dans l’immédiat. Mais ils ont besoin de recevoir une chose qu’ils pourront comprendre dans un an, deux ans, trois ans, et dont ils se souviendront. Avec les années, au Gros Mécano, on a abandonné l’idée d’efficacité immédiate du spectacle pour se dire qu’en premier lieu, il faut que ça devienne un bon souvenir, afin l’enfant puisse s’en rappeler; un jour, ça lui sera utile."
"Il est important, aussi, de ne pas laisser l’enfant dans un désarroi, lorsqu’on explique quelque chose ou qu’on soulève un problème, poursuit-il. Un public adulte peut s’arranger avec les sujets difficiles; il est structuré émotivement, et peut se faire une opinion. Mais ce n’est pas le cas de l’enfant. L’enfant n’est pas un être autonome; il a besoin de se sentir encadré. Il faut que je puisse, en écrivant, non pas lui apporter la solution, mais que je puisse ouvrir sur quelque chose. Lui indiquer qu’un jour, il y aura une solution."
Un public
Quant au public, a-t-il changé, pendant ce quart de siècle? "Je pense qu’il y a plus d’ouverture, de nos jours, à des choses bouleversantes ou compromettantes, explique Reynald Robinson. Avant, on devait faire plus attention à ce qu’on disait, à la façon dont on le disait. Mais comme au Québec il y a eu un travail terriblement sérieux dans le théâtre pour enfants – moi, je trouve que c’est unique au monde -, les gens nous font confiance. Les professeurs, par exemple, lors de sorties scolaires au théâtre, savent que ça va être bouleversant. Ils savent que ça va être un moment important, qu’il va donner lieu à des discussions; mais ils l’acceptent, de plus en plus. Et ça, c’est l’fun."
À l’ère des effets spéciaux, de la technologie, de l’Internet, les enfants sont-ils bien différents de ceux nés à l’époque du peace and love? "Les enfants sont beaucoup plus près d’eux-mêmes qu’ils ne l’étaient avant, avance Reynald Robinson. Je me rappelle mes premières discussions avec les enfants, fin des années 70 et début des années 80. Les enfants essayaient d’être de bons spectateurs: ils aimaient tout. Maintenant, les enfants ne sont plus nécessairement des bons spectateurs. Ils sont des êtres qui ont des opinions; ils acceptent de ne pas aimer, de discuter, de cheminer, de changer d’avis. Pour moi, ça paraît beaucoup quand je discute avec eux. Ils ont une espèce de lucidité qu’on ne voyait pas avant. Ils s’affirment, sans peur des autres ou des adultes; on voit ça de plus en plus."
"Quant à l’imagination, ça, ça ne change pas. On se rend compte que pour les intéresser, les émerveiller, ça ne prend pas grand-chose. Ils ne sont pas du tout saturés, et sont très réceptifs à la moindre petite étincelle. Ils ne trouvent pas le théâtre moins bon que les effets spéciaux du dernier film qu’ils ont vu…"
Dans le spectacle présenté à l’occasion du 25e anniversaire, Boléro, Reynald Robinson raconte l’histoire d’un couple âgé qui, pour tromper son chagrin de ne pas avoir eu d’enfant, s’en invente un et le dorlote. Il montre ainsi aux enfants leur importance dans la vie des adultes. Cet "hommage" aux enfants tombe à point nommé; il appuie d’ailleurs parfaitement une des pensées à la base du travail du Gros Mécano: "L’enfant est notre source première d’inspiration, tout comme il est la source de revitalisation de l’humanité."
Les 13 et 20 mai
Au Théâtre Périscope
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