Mademoiselle Julie : Eaux profondes
Entourée sur trois côtés par les estrades du public, la scène se présente telle une arène. Celle où se livrera une âpre lutte des dualités et des oppositions: homme et femme, maître et serviteur, répulsion et désir, ambition avouée et pulsion de déchéance.
Entourée sur trois côtés par les estrades du public, la scène se présente telle une arène. Celle où se livrera une âpre lutte des dualités et des oppositions: homme et femme, maître et serviteur, répulsion et désir, ambition avouée et pulsion de déchéance. Et, ultimement, un combat de Mademoiselle Julie avec ses propres démons.
À l’Espace Go, les spectateurs ont ainsi l’avantage d’être près de l’action pour assister à la très grande pièce d’August Strindberg, synthèse fulgurante des rapports mouvants de pouvoir, de classe et de sexe, où la sexualité devient une arme de subordination et où les rôles s’inversent. Mais le texte créé en 1889 est aussi une fascinante plongée dans la blessure intime d’une femme.
Entre le caractère aseptisé du décor immaculé d’Anick La Bissonnière et le sang écarlate qui macule les cuisses virginales de mademoiselle Julie (les costumes de Julie Charland se déclinent aussi en blanc, en noir et en rouge), la pièce mise en scène par Brigitte Haentjens déroule un rituel à la fois austère et brutalement charnel.
Une mise à nu quasi clinique, d’une épuration qui accuse la modernité du texte. Tout s’y passe comme en vase clos, livré au jeu des comédiens.
Ici, le grand duel attendu est en fait un trio, où s’affirme dans une superbe pose hiératique la cuisinière-fiancée campée par une Annie Berthiaume altière. Bras croisés sur un refus, tête haute, regard désapprobateur, elle paraît drapée dans une dignité offensée qu’elle conserve jusqu’à la fin. Hors d’atteinte de la souillure irrémédiable dans laquelle s’abîment Jean et Julie.
Deux rôles qui offrent un superbe éventail d’émotions et de pulsions changeantes à leurs interprètes, surtout Miss Julie, ambivalente et si vulnérable. Très solide, malgré un accent parfois un peu trop gouailleur, James Hyndman exsude la force brute de l’ambition et du désir.
Cadieux jusqu’au bout des ongles, la grande Anne-Marie incarne une femme à la fêlure béante, qui vacille au bord du gouffre de la folie dès sa première scène. Déjà déchue. D’abord la démarche qui tangue, aguicheuse et moqueuse en même temps, des intonations méprisantes dans la voix quand elle provoque son domestique, puis complètement brisée. Prouvant une fois de plus qu’elle est une interprète singulière, la comédienne donne des accents déchirants à ce qui serait autrement un spectacle impressionnant mais un peu froid.
Jusqu’au 26 mai
À l’Espace Go