Novecento : Et vogue le navire
Scène

Novecento : Et vogue le navire

L’amitié est un doux exil au coeur du solitaire. Elle lui permet de s’oublier pour mieux se réinventer.

L’amitié est un doux exil au coeur du solitaire. Elle lui permet de s’oublier pour mieux se réinventer. L’amitié est également un grand voyage. Il dure souvent plus que l’amour, et ses souvenirs surpassent ceux des plus beaux paysages.

Novecento raconte l’amitié, à la vie, à la mort, de deux musiciens de l’Atlantic Jazz Band, l’orchestre d’un paquebot faisant la navette Europe-Amérique durant la première partie du novecento (20e siècle en italien). Seul dans le noir, Tim se confie à nous, comme pour mieux oublier son chagrin.

Le trompettiste se souvient des longues traversées du Virginia, où il a fait la connaissance de son ami Novecento, né en 1900 dans la salle des machines de ce paquebot qu’il ne quittera jamais.

Abandonné par ses parents, élevé par des marins, le jeune passager a grandi sur la mer en parcourant les notes d’un piano, en cachette de l’équipage. De traversée en traversée, Novecento est devenu un réputé pianiste de jazz. Jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Malgré le danger (le navire va être dynamité), il refusera de quitter l’embarcation car "la terre est un bateau trop grand pour lui".

Pour sa première mise en scène au théâtre, le cinéaste François Girard a choisi une pièce minimaliste: un acteur, un monologue, et pratiquement aucun déplacement durant 95 minutes… Novecento est un texte qu’Alessandro Baricco (Soie) a écrit par amitié pour un metteur en scène et un acteur italiens. À la création, en 1994, l’auteur affirmait que la pièce était "à mi-chemin entre une vraie mise en scène et une histoire à lire à haute voix".

À défaut d’effets scéniques spectaculaires, Girard a choisi de travailler dans le détail et de créer un environnement (sonore, visuel et sensuel) qui est au service du récit. (Il faut souligner l’excellent travail des concepteurs: Nancy Tobin à la composition sonore; François Séguin au décor; et Marc Parent aux éclairages magnifiques, proches des rayons de lumière naturelle.)

A priori, cette proposition apparaît très austère. Dès l’entrée, un épais brouillard recouvre la salle entière. Le rideau se lève sur un homme assis dans la pénombre. On distingue peu à peu une cale, du charbon, des parois d’acier oxydé. Une forme de langueur semble hanter le Quat’Sous.

Par chance, au bout d’une vingtaine de minutes, le récit que livre Pierre Lebeau nous happe. Le comédien dose ici merveilleusement son jeu, contenant toujours ses émotions, et laissant libre place à l’imaginaire du spectateur. Ce dernier devient alors le témoin privilégié de cette histoire triste et extraordinaire.

Dans un excellent dossier sur les auteurs étrangers, la critique de la revue Jeu Brigitte Purkhardt livre une brillante analyse de l’oeuvre de Baricco. Elle souligne qu’"une théâtralité évidente traverse toute sa fiction".

Novecento, un monologue qui exprime toute l’immensité de l’aventure humaine (l’amitié, la musique, le désir, la liberté, le rêve, la mort…) sans rien montrer, est un grand poème infiniment et absolument théâtral.

Jusqu’au 2 juin
Au Théâtre de Quat’Sous