Alain Platel : Histoires de famille
Le metteur en scène belge ALAIN PLATEL propose au Festival de Théâtre des Amériques un spectacle très attendu: Allemaal Indiaan. Monté avec l’auteur belge Arne Sierens, ce spectacle raconte les tribulations de deux familles, microcosme de notre monde.
Alain Platel
Pour les festivaliers qui ont eu le plaisir et l’émotion d’assister à son bouleversant Iets op Bach (Masque, mérité celui-là, de la production étrangère en 1999), il y a deux ans, le retour d’Alain Platel avec un nouveau spectacle est probablement l’une des visites les plus attendues du FTA.
Cette fois, le metteur en scène ne vient pas seul, signant Allemaal Indiaan (Tous des Indiens) conjointement avec un autre créateur flamand, l’auteur Arne Sierens, qui n’est pas, lui non plus, un inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. D’autres festivaliers, ceux des Coups de théâtre, ont pu découvrir le travail du duo en 1996, grâce à Mère et Enfants, premier maillon d’une trilogie qui s’est poursuivie avec Bernadejte (créé en 97), et qui s’est clos en 1999 avec Allemaal Indiaan, que les Montréalais pourront voir – en traduction française – au Monument-National, du 25 au 28 mai.
Tous deux ancrés dans la ville de Gand, Arne Sierens et Alain Platel sont unis par un langage commun. "Ce que lui exprime avec des mots, moi, j’essaie de l’exprimer avec des mouvements, explique le chorégraphe. On s’est reconnus très fort, en fait. Et quand on a commencé à travailler ensemble, notre but était que lui ne voulait pas être l’écrivain du duo, et moi, je n’avais pas envie d’en être le chorégraphe. Donc, on a trouvé une manière de travailler où il n’y avait plus ces rôles définis. On était juste deux paires d’yeux qui regardaient la même chose sur scène. C’est assez unique, cette façon de travailler ensemble."
Et de là naît un brassage baroque d’images et de musiques qui se bousculent simultanément, chaotique, très physique. "On retrouve dans notre travail un humour amer, une manière de parler assez brutale, sauvage, avec des phrases courtes, où les personnages se disent les choses directement", ajoute Platel. Leurs spectacles jouent aussi sur un élément cher à cet ancien orthopédagogue depuis ses débuts artistiques: la rencontre entre le travail structuré d’acteurs de métier et la fraîcheur de non-professionnels, le mélange d’interprètes de différents âges sur scène.
Allemaal Indiaan ne fait pas exception à la règle, fourmillant d’enfants. Car les deux Belges ont signé une trilogie dont le thème commun est la famille. La famille comme "tribu". La famille décrite comme un univers potentiellement étouffant, un espace où l’on peut se sentir "très enfermé". "La famille, c’est le lieu qu’on n’a pas choisi. L’endroit où tout commence. À un moment donné, on a vraiment envie de quitter ce ghetto, et pourtant, on reste lié toute sa vie à ses origines. C’est très complexe. J’ai l’impression qu’on peut vraiment ne parler que de ça (la famille), toute sa vie."
Portraits de groupe
Créé au cours de quatre mois d’"intenses" séances d’improvisation avec toute l’équipe ("il n’y a qu’un secret pour nous: qu’on nous donne du temps"), le spectacle des compagnies Victoria et des Ballets de la C. de B. dévoile la vie à l’intérieur de deux maisonnées, chacune amputée d’un parent. L’une surpeuplée par une mère monoparentale et ses quatre bruyants rejetons. L’autre qui paraît trop grande pour un pompier et son fils. Au rez-de-chaussée, une buanderie où s’active une jeune réfugiée, nommée Kosovo…
Deux maisons reconstituées sur scène dans leurs détails réalistes, et une humanité reconduite avec toute son agitation, sa violence à vivre. Un portrait éclaté. "Il y a 12 personnages et, la plupart du temps, ils continuent à exister devant nous. Ce n’est donc pas évident pour le spectateur de suivre, car tout se poursuit au même moment. Ça, c’est un peu mon obsession, quelque chose que j’ai toujours aimé mettre sur scène. Mais il y a quand même un parcours très clair pour nous, et dans lequel on emmène le spectateur."
"C’est vrai qu’il y a des moments assez durs dans le spectacle, reconnaît le doux Alain Platel. Je crois que ça tient à l’urgence qui est liée au théâtre: j’ai l’impression qu’on dispose d’une heure trente pour raconter les choses, qu’il faut donc le faire vite (rires), d’une façon claire et parfois brute. Allemaal Indiaan entretient des liens avec une certaine réalité, mais ce n’est pas LA réalité. C’est un condensé: toutes ces choses peuvent peut-être se passer dans toute une vie, et nous, on les montre en une heure trente…"
Arrêt sur image
Le tandem a logé ses familles dans un quartier populaire. Mais il ne faut pas y voir nécessairement une volonté de parler de la misère matérielle fleurissant dans un certain milieu social. "Pour nous, la pauvreté est plutôt une métaphore pour parler de la condition humaine, c’est-à-dire que chacun se retrouve un peu nu devant l’existence. Qu’on soit riche ou pauvre, c’est la même chose, je crois: on est confronté aux problèmes de la vie de la même manière. Quant à comment on les résoud, c’est différent…"
Il y a aussi qu’Alain Platel considère "que les gens simples sont des héros. Leur héroïsme est très beau". C’est l’héroïsme ordinaire des survivants, de ceux qui sont aux prises, jour après jour, avec les difficultés de la vie. Tout n’est donc pas que noirceur dans l’univers scénique du metteur en scène, où l’on relève invariablement une part sombre. "J’espère qu’il y aura toujours les deux côtés, commente-t-il. Qu’on y sente aussi l’amour, l’amitié, la solidarité."
Le créateur flamand décrit son petit dernier comme le spectacle le plus théâtral du triptyque. "Le côté physique est encore très présent, mais on y parle beaucoup. Et pour moi, c’est aussi notre spectacle le plus amer et, à certains moments, le plus radical."
C’est en tout cas celui qui a mis un point final à la trilogie de Sierens et Platel. Depuis, ce dernier s’accorde une pause de création d’une durée indéterminée. Un arrêt prévu, et motivé par de nombreuses raisons, qu’Alain Platel dit trop longues à expliquer.
"Je savais d’avance qu’après Allemaal Indiaan, je voudrais faire autre chose.
Je voulais m’occuper un peu plus de la direction artistique des Ballets C. de la B. Et je continue à suivre les tournées. Ces huit dernières années, j’ai fait neuf ou dix spectacles. J’ai pas envie de me répéter, ou de sentir une certaine pression. De plus, je suis tellement content des derniers shows que j’ai faits; ce sont des spectacles qui m’ont donné beaucoup de joie."
Du 25 au 28 mai
À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National
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