Cheval-Théâtre : Des chevaux et des hommes
Avec Cheval-Théâtre, GILLES STE-CROIX veut reproduire la magie du Cirque du Soleil en ajoutant des animaux sous le chapiteau. Le créateur nous donne un avant-goût de ce spectacle, le plus attendu ce printemps au Québec.
À deux pas de l’autoroute Décarie, trois vastes tentes ont été érigées à l’ombre de l’Hippodrome de Montréal. Autour, un chantier fourmille de monde, d’animaux, de voitures et de téléphones cellulaires.
Fébrile, mais sachant cacher sa nervosité, l’homme derrière toute cette activité éteint des feux avant de rejoindre le journaliste. "Une création, c’est toujours un risque énorme. Mais un beau risque. On a monté ce show en un an, un temps record", explique Gilles Ste-Croix, cofondateur du Cirque du Soleil et désormais grand patron de Cheval-Théâtre.
"Les créations du Cirque du Soleil s’étalent sur trois années. Et elles font appel seulement à des humains, poursuit le metteur en scène. Avec des chevaux, c’est beaucoup plus compliqué. On ne peut pas leur demander de répéter une chose 30 fois, ou de revoir tel déplacement. On doit savoir tout de suite ce qu’on veut, et y aller étape par étape: le son, l’éclairage, la mise en place… Car le cheval se met sur le pilote automatique. C’est une bête avec une mémoire incroyable qui enregistre tout. Après, on peut difficilement lui demander de changer sa routine."
Gilles Ste-Croix me fait faire le tour du propriétaire. Avant de voir le grand chapiteau qui accueillera le public dans moins d’une semaine, nous traversons la tente-écurie où les chevaux du spectacle attendront avant d’exécuter leur tour de piste (les spectateurs passeront aussi par cet endroit avant de gagner leur siège).
En chemin, Gilles Ste-Croix salue amicalement les palefreniers et caresse les chevaux. Ces bêtes ont bercé son enfance en Abitibi. Et elles ont embelli sa "préretraite" dans son splendide domaine de 60 hectares à Saint-Bernard-de-Lacolle, près des frontières américaines. Finalement, ses chevaux lui ont donné l’idée de retourner au boulot, et de lancer Cheval-Théâtre.
Après avoir été pendant 20 ans l’un des maîtres d’oeuvre d’un cirque sans animaux, Gilles Ste-Croix est charmé par sa nouvelle aventure équestre. "Le cheval est un animal à la fois hypersensible et très puissant. Il peut être chaleureux et proche des humains, comme le sont les chiens; mais aussi craintif et toujours prêt à fuir, comme le sont les chats. Malgré tout, il s’est développé une grande complicité au fil des siècles entre les hommes et les chevaux. Ils nous ont aidés à bâtir la civilisation actuelle. Malheureusement, avec la mécanique et la technologie, au 20e siècle, l’homme a mis de côté les chevaux.
"Je suis un gars de théâtre qui a toujours été passionné par les chevaux. Cheval-Théâtre, c’est donc le mariage de mes deux passions. J’ai imaginé un lieu où l’humain et le cheval se respectent, échangent, et créent des moments magiques, poétiques. Je vis depuis cinq ans à la campagne. Je suis profondément attaché à la nature. J’aimerais que les gens s’intéressent à nouveau aux chevaux. J’espère que le spectacle sera perçu comme un hymne à la beauté et à la noblesse des chevaux."
Tour de piste
Pour arriver à ses fins, Gilles Ste-Croix s’est entouré d’une solide équipe de collaborateurs: François Barbeau, aux costumes; Michel Crête, à la scénographie; Bernard Poirier, à la musique; Guy Desrochers, à la sonorisation, et Guy Simard, aux éclairages. Pour les chorégraphies équestres, le directeur est allé chercher deux experts en Europe: le Russe Igor Kassaev, chef d’une troupe de cavaliers de discipline cosaque, et le Français Bernard Quental, qui a travaillé avec le théâtre équestre Zingaro fondé par le célèbre écuyer et metteur en scène Bartabas.
En 1997, Bernard Quental a fondé le Théâtre Centaure. Avec sa compagnie, il a signé, entre autres, un spectacle équestre d’après Les Bonnes, de Jean Genet. "Je jouais Solange mais en homme, explique celui dont le travail a été reconnu par les plus grands du cirque français (Fratellini, Bouglione). Les chevaux étaient le prolongement des comédiens. Ils réagissaient aux répliques des personnages de Genet."
Avec Cheval-Théâtre, les deux chorégraphes proposent "une rencontre dans l’espace et le temps, une féerie équestre". "Il n’y a pas vraiment de thèmes, dit Quental, mais il y a des personnages qui reviennent. Le spectateur se fait sa propre histoire. C’est l’imagination au galop."
Les chorégraphes ont supervisé 30 chevaux de 17 races différentes (canadiens, arabes, russes, andalous, etc.). Ils seront sur la piste avec 27 artistes (acrobates, comédiens, dresseurs, danseurs et musiciens) de réputation internationale. Ils évolueront sous un grand chapiteau de 1990 places autour d’une piste de 43 mètres (comparativement à 50 mètres et 2500 spectateurs pour le Cirque du Soleil).
En retournant aux origines du cirque (en 1769, à Londres, le militaire Philip Astley a eu l’idée de faire défiler des chevaux sur une piste circulaire; il est depuis considéré comme le père du cirque moderne), Gilles Ste-Croix conserve quand même la théâtralité qui a fait la marque du Cirque du Soleil, mais aussi sa philosophie artistique. "Comme pour tous les shows du Soleil, dit l’ancien membre des Échassiers de Baie-Saint-Paul en compagnie de Guy Laliberté, il n’y a pas de vedettes à Cheval-Théâtre. Chacun aura son moment de gloire. Nous faisons un vrai travail collectif."
Après les représentations montréalaises, Cheval-Théâtre déménagera ses pénates à Québec. Suivra une longue tournée nord-américaine. Puis, Gilles Ste-Croix veut s’attaquer au reste de la planète. Il prévoit user de ses contacts sur le plan international afin que, d’ici quelques années, sa nouvelle entreprise (lancée avec un capital de 9 millions de dollars) devienne un succès comparable à celui du Cirque du Soleil, cette multinationale québécoise du spectacle qui emploie 2200 personnes à travers le monde.
D’ici le succès espéré, Gilles Ste-Croix attend le soir de la grande première en piaffant d’impatience.
Du 16 mai au 3 juin
À l’Hippodrome de Montréal
Du 11 au 29 juillet
Au Campus de l’Université Laval à Québec
Christian Ferland, clown
Par David Desjardins
Comédien de métier, Christian Ferland aborde la relation avec l’animal dans toute sa dimension humoristique. Articulant les différents numéros par un fil conducteur, un lien dramatique qui jalonne l’ensemble du spectacle, ce clown de service doit évoquer, à travers une série de numéros comiques dont il ne veut dévoiler la substance, une suite d’images faisant de Cheval-Théâtre autre chose qu’une série de performances équestres.
S’il avait déjà eu quelques contacts avec le milieu équestre, le comédien, qui n’avait jamais vécu une telle immersion, avoue s’être jeté à corps perdu dans la relation au quotidien avec les chevaux, mais principalement avec l’un d’entre eux, qui lui donne la "réplique" dans un numéro assez particulier. "Je me suis laissé remplir par ce qu’on avait à m’enseigner, à partir des soins, de la relation que je dois établir avec le cheval, et j’ai dû suivre une formation pour savoir comment communiquer avec lui", raconte-t-il, donnant au passage quelques informations sur la feuille de route de son partenaire, qui aurait entre autres sévi au cinéma. "Il est déjà bien dressé, il a fallu que j’apprenne comment il fonctionne", conclut-il à ce sujet.
Mais les chevaux ont-ils le sens de l’humour? "Les chevaux sont comme des enfants, il faut leur mettre des limites. Ils sont dotés d’une grande intelligence. On a commencé les répétitions devant public et il y a des regards qui trahissent une grande complicité, mais puisqu’ils savent qu’on est en public, ils peuvent nous jouer des tours, parfois."
Caroline Williams, dresseuse et cavalière
Par David Desjardins
Née en Allemagne, Caroline Williams a consacré toute sa vie aux chevaux. Représentante de la huitième génération du grand cirque Williams d’Europe, elle montait à cheval dès l’âge de deux ans. D’ailleurs, elle avoue d’emblée entretenir de bien meilleures relations avec les équidés qu’avec ses semblables: "Ils n’ont pas de sautes d’humeur comme les humains. Bien sûr, ils ont de mauvais jours, mais ils sont toujours contents de me voir et je les aime comme s’ils étaient mes enfants."
Experte de cette discipline méconnue qu’est le dressage, son travail avec les chevaux consiste à accentuer les mouvements naturels de l’animal afin d’en perfectionner le style, la grâce et la puissance. "Toute la force des chevaux est dans leurs pattes arrières et leur croupe. Dans le dressage, il faut leur apprendre à transférer leur poids vers l’arrière pour qu’ils soient mieux balancés; les pattes à l’avant et la tête étant moins lourdes, ils deviennent plus manouvrables", explique-t-elle.
Très expérimentée, Caroline Williams sait qu’elle doit passer par une assez longue période d’apprentissage afin de mieux connaître ses chevaux et d’anticiper leurs réactions dans diverses éventualités. "Cela ne fait que deux mois et demi que nous avons commencé à travailler ensemble. Je ne connais pas encore chacun de leurs caractères, ce qui leur est arrivé quand ils étaient plus jeunes; je ne sais pas lesquels cachent un traumatisme mettant en cause un bruit précis ou une lumière qui pourrait leur faire peur", raconte la jeune femme. "Il faut observer leurs réactions aux événements pour comprendre de quel type de cheval il s’agit, ajoute-t-elle, j’ai des chevaux courageux, d’autres plus timides, et il y a aussi des chevaux paresseux qui pensent toujours s’en tirer en faisant le minimum; c’est comme les gens…"