Le journal d’un fou : Le grand dérangement
Dans son fameux Journal d’un fou, porté à la scène par Paul Lefebvre, le grand auteur russe Nicolas Gogol nous fait entrer pas à pas dans la logique tordue d’un psychotique.
La folie est un révélateur. Dis-moi qui tu juges fou, et comment tu traites tes déséquilibrés: je te dirai dans quel genre de société tu vis… La folie, c’est aussi la marge, l’exclusion.
Dans son fameux Journal d’un fou, porté à la scène par Paul Lefebvre, le grand auteur russe Nicolas Gogol nous fait entrer pas à pas dans la logique tordue d’un psychotique. À travers cette vertigineuse plongée dans les élucubrations d’un petit fonctionnaire issu d’une famille noble mais ruinée, qui souffre de sa condition humiliante, transparaissent ainsi les inégalités de la Russie du XIXe siècle, où pesaient lourdement les classes et statuts sociaux.
La petite production du Douzième pis trouve à l’Espace Georgie une niche parfaite pour loger son soliloque délirant: paillasse, murs nus et tristes percés d’une petite fenêtre grillagée. L’endroit est assez désolant pour évoquer la misérable cellule de l’asile psychiatrique où croupit Avksenty Ivanovitch Poprichtchine. L’époque n’était pas douce pour les aliénés. Autres temps, autres moeurs: ici et maintenant, le pauvre se serait peut-être retrouvé errant dans la rue, libre mais guère mieux soigné…
Adapté d’un texte publié en 1833 sous la forme d’un journal intime, le monologue est d’abord un peu ardu à pénétrer. Mais on est entraîné peu à peu dans l’esprit torturé de ce "conseiller titulaire" passant son temps à tailler, obséquieux, les plumes du gouverneur, et qui, atteint de la folie des grandeurs, en viendra à se persuader qu’il est roi d’Espagne… Le récit de Gogol montre une subtile progression, de la douce folie au délire caractérisé, d’une drôlerie incongrue à la gravité, (dé)gradation qu’accompagne attentivement la mise en scène de Paul Lefebvre, notamment par une utilisation mesurée, et de plus en plus prenante, de la musique.
Le comédien Jean-Robert Bourdage est à l’origine du projet. Doté d’une présence physique imposante, cet interprète qu’on voit généralement dans des rôles de soutien fait vivre Poprichtchine avec force, bien que d’une façon un peu inégale. Sa prestation convainc moins à certains moments, ainsi lorsqu’elle s’appuie sur de gros effets de voix – une voix qu’il a par ailleurs puissante.
Mais Bourdage offre dans l’ensemble une composition sobre, nuancée, habitée, qui rend son malheureux personnage attachant. Et d’autant plus troublant qu’il est crédible…
À l’Espace Geordie
Jusqu’au 19 mai
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