Serge Denoncourt : Star d’un soir
À l’automne 1998, la création de la pièce The Blue Room, à Londres puis à Broadway (dans une mise en scène de Sam Mendes, le réalisateur d’American Beauty), avait fait beaucoup de bruit. En fait, les langues s’agitaient surtout autour de la présence sur scène de la belle star Nicole Kidman – et de sa brève apparition en costume d’Ève, de dos…
À l’automne 1998, la création de la pièce The Blue Room, à Londres puis à Broadway (dans une mise en scène de Sam Mendes, le réalisateur d’American Beauty), avait fait beaucoup de bruit. En fait, les langues s’agitaient surtout autour de la présence sur scène de la belle star Nicole Kidman – et de sa brève apparition en costume d’Ève, de dos…
Serge Denoncourt, qui monte cette pièce du Britannique David Hare au Théâtre du Rideau Vert, ne s’attend à rien de tel. Même si La Chambre bleue est une modernisation libre de La Ronde, la célèbre pièce de l’Autrichien Arthur Schnitzler qui fut créée dans le scandale en 1920.
"À l’époque, c’était une pièce sulfureuse, ce que n’est absolument pas La Chambre bleue", juge le fort occupé metteur en scène, au cours d’un entretien téléphonique qui a lieu à… 22 h, pendant un enchaînement de l’opéra LaTosca, qu’il dirige à Québec. "Nous, on ne peut pas faire scandale. Alors le propos est peut-être mieux entendu."
Divisée en "dix actes intimes", La Chambre bleue dévoile une série de brèves rencontres centrées sur une relation sexuelle. Un portrait "plus actuel que jamais", selon Denoncourt. "On s’engage de moins en moins à long terme, c’est de plus en plus facile d’avoir des relations à court terme. Et, bien que ce soit une comédie, c’est d’une grande tristesse. C’est une gang de "tu-seuls" qui vont se croiser. Il n’y a pas beaucoup d’amour dans cette pièce. Il y a surtout des ruptures, et des rencontres très courtes. Alors, ça pose la question: après quoi court-on?"
Reconnu pour son théâtre à contenu politique, David Hare (Plenty, The Judas Kiss) aborde ici un sujet qui ne l’est pas a priori, pour "parfois, en une phrase, transformer ce rapport amoureux en un rapport social ou politique". Dans cette espèce de course à relais de l’amour, où chaque personnage quitte un amant pour enlacer le suivant, les personnages sont presque réduits à leur fonction sociale: la femme mariée, l’étudiant, le mannequin, le politicien, l’actrice…
Le dramaturge montre comment les rôles sociaux, les rapports entre les sexes et entre les classes sociales colorent la rencontre amoureuse. "Et ce qui est troublant, c’est de constater que ça n’a pas beaucoup changé depuis une centaine d’années, ajoute le metteur en scène. A-t-on tant évolué que ça? Pas si sûr. On s’est rendu compte que dans la pièce, les femmes se faisaient beaucoup plus avoir que les hommes. Et quand ce ne sont pas les hommes qui gagnent, ce sont les riches. Sans être du tout une pièce à messages, le texte nous fait une série de clins d’oeil en disant: "Réfléchissez à ces petites choses-là.""
Mais pour Serge Denoncourt, La Chambre bleue est d’abord "un prétexte pour voir deux comédiens se dépasser dans un éventail très large". Normand D’Amour et Pascale Desrochers y incarnent chacun cinq personnages, généralement d’âges et de milieux sociaux différents. Et ils le font "avec très peu d’artifices", car "une composition, c’est ce qu’on ressent à l’intérieur".
"C’est une pièce de direction d’acteurs. Un travail extrêmement précis et difficile. Les personnages ne doivent pas être caricaturaux, ils doivent être différents les uns des autres; mais, en même temps, c’est toujours la même histoire: une rencontre d’un soir… Alors, c’est très délicat."
D’autant que la pièce s’apparente à un catalogue où on trouverait autant de styles qu’il y a de scènes. "C’est comme ouvrir un livre de nouvelles. On est toujours en coitus interrumptus – c’est le cas de le dire -, en train d’interrompre l’action pour passer à un autre personnage. C’est une espèce de test, je trouve, pour les comédiens et le metteur en scène. À savoir: connaissez-vous votre métier?"
Serge Denoncourt pense avoir passé l’épreuve, puisque la production a déjà été jouée une vingtaine de fois en tournée. L’artiste se dit étonné par la réaction du public. "Les gens riaient, mais à la fin, ils disaient: Dieu que c’est déprimant comme portrait! Et je suis assez d’accord. Parce qu’il n’y a pas un seul de ces couples qui fonctionne. Nous, on croyait présenter une pièce légère, mais elle est peut-être plus insidieuse que je ne le pensais."
Davantage qu’une rencontre d’un soir, quoi…
Du 22 mai au 16 juin
Au Théâtre du Rideau Cert
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