Silences et Cris : Bonheur d’occasion
Gilles Maheu avait annoncé la couleur: Silences et Cris serait un spectacle sur le bonheur. Mais pour le créateur des crépusculaires Âmes mortes, le bonheur peut difficilement se concevoir sans mélange.
Gilles Maheu avait annoncé la couleur: Silences et Cris serait un spectacle sur le bonheur. Mais pour le créateur des crépusculaires Âmes mortes, le bonheur peut difficilement se concevoir sans mélange. Sa nouvelle création, sa première chez Carbone 14 depuis le décevant L’Hiver, en 1998, apparaît donc comme le spectacle de la contradiction et des extrêmes, soufflant alternativement le chaud et le froid, oscillant entre les petits bonheurs de la vie et les grandes tragédies de l’existence, le plaisir et la mort, l’exubérance et la nostalgie. Et promenant le spectateur entre une poignante beauté et une joyeuse superficialité. Un bonheur mitigé, quoi…
Malgré son titre, Silences et Cris est surtout abondamment nappé de musique, porté par les chansons des géants Jacques Brel et Léo Ferré, le compositeur de la spleenétique Avec le temps ouvrant et fermant la marche du spectacle. Ça commence d’ailleurs magnifiquement, au son de la puissante Solitude hurlée par Ferré. Un à un, les personnages, ces doubles du spectateur, viennent s’installer sur des gradins qui font face – et écho – à ceux sur lesquels est assis le public. Chacune de ces âmes solitaires placés sous sa fragile petite lumière de vie. Saisissante image.
C’est donc le "théâtre de la vie" que nous donne à voir Maheu. Dans une ambiance de fête foraine, emportée par l’accordéon de Didier Dumoutier, la vie y exulte tel un énergique bal-musette. La dizaine d’interprètes tourbillonnent dans le fort dispositif scénographique d’Anick LaBissonnière, percé de fosses intelligemment utilisées. Et c’est parfois la vie et rien d’autre, où l’on se contente de regarder ces gens – qui demeurent essentiellement des silhouettes dans un ensemble – tournoyer pour dire le plaisir de vivre, et uniquement ça.
Une vie qui s’emballe parfois jusqu’au délire dans notre société moderne. Gilles
Maheu se fait ici satiriste, caricaturant, habilement mais sans surprises, le cirque fou de nos vies hyperactives, représenté ici par la course de clowns en costumes et attachés-cases…
Avec ses instants de recueillement brisés par la sonnerie stridente des téléphones cellulaires, ses passages de la vie à la mise au tombeau puis à la résurrection, Silences et Cris est tissé de ruptures et de contrastes. Semblant parfois confronter ses thèmes: un hymne à la vie et une critique sociale, le bonheur tout simple de partager un repas entre amis et l’horreur de la guerre – illustrée d’ailleurs par une scène d’une extrême limpidité. Un peu trop.
Il me semble que le doué créateur de La Forêt est à son meilleur dans l’allusif, dans la poésie de ce qui ne se dit pas – par exemple, la fragile beauté de la séquence qui suit l’évocation des massacres. À mi-course de Silences et Cris, certains tableaux – telle la mièvrerie des ébats d’un couple dans l’eau – viennent hélas diluer la force de ce "poème théâtral" où les images, même d’inégale capacité d’évocation, parlent toujours plus éloquemment que les mots, et où les sensations sont plus prenantes que les idées qui y sont ébauchées. Par exemple, cette façon de nous rappeler, à l’aide d’un symbole un peu gros (une femme voilée, spectatrice silencieuse dont l’unique cri vient interrompre la fête), qu’il n’est de bonheur sans sa contrepartie obligée, la liberté.
Bref, le ravissement qu’on ressent devant Silences et Cris se manifeste par intermittence. Comme dans la vie, pourrait-on dire…
Jusqu’au 26 mai
À l’Usine C
Voir calendrier Théâtre