Tambours sur la digue : Le fil d'Ariane
Scène

Tambours sur la digue : Le fil d’Ariane

Le Théâtre du Soleil et ARIANE MNOUCHKINE sont de retour à Montréal avec Tambours sur la digue, le spectacle d’ouverture du Festival de Théâtre des Amériques. De la théâtralité de l’histoire.

De la rigueur. C’est la consigne qui résume probablement le mieux le travail d’Ariane Mnouchkine, l’une des plus grandes personnalités du théâtre en Occident, aux côtés des Peter Brook, Patrice Chéreau (pour les vivants), Giorgio Strehler et Antoine Vitez (pour les disparus). Sa réputation d’exigence a dépassé les frontières de la France.

À La Cartoucherie, où sa troupe a élu résidence, en banlieue de Paris, elle accueille régulièrement de jeunes acteurs en stage. Tout de go, la metteure en scène les prévient qu’elle ne les laissera pas monter sur scène si lesdits stagiaires n’ont pas ce qu’elle qualifie de "son minimum"; c’est-à-dire un état de disponibilité nécessaire pour jouer. "Elle peut demander à un comédien de descendre de la scène avant même que ce dernier n’ait prononcé la première réplique de son exercice", me confiait récemment un acteur parisien qui a déjà fait le stage à Vincennes. "J’ai moi-même été refoulé en déposant le pied sur la scène. C’est terrible pour l’ego d’un acteur. Mais je vous le jure: Ariane ne se trompe jamais!"

Près de 10 ans après sa première visite au Québec (avec Les Atrides), Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont de retour à Montréal pour inaugurer le Festival de Théâtre des Amériques, qui a lieu du 24 mai au 10 juin. En 1992, le Soleil avait installé ses pénates à l’Aréna Maurice-Richard. Cette fois-ci, c’est à l’Aréna de Lachine que la troupe de 28 acteurs et manipulateurs de marionnettes, ainsi que les musiciens Jean-Jacques Lemêtre et Carlos Bernardo Carvalho, élisent domicile jusqu’au 3 juin. Ils y représenteront la fable politique d’Hélène Cixous: Tambours sur la digue. Une allégorie théâtrale à grand déploiement inspirée par les inondations qui ont ravagé la Chine en 1998. Un spectacle évoquant une légende asiatique, en l’an 1000 dans le royaume du seigneur Khang, et qui rend hommage à l’Asie et à la théâtralité que ce continent nous a léguée.

Ariane Mnouchkine dit souvent que si l’Occident prise, depuis des siècles, le théâtre de texte, l’Orient, par contre a opté pour une esthétique théâtrale dominée par les images. Elle aime répéter la phrase d’Antonin Artaud: "Le théâtre est asiatique." Comme pour expliquer l’influence et l’intégration du théâtre extrême-oriental dans les spectacles du Soleil, par exemple l’opéra chinois, le kathakali indien, le kabuki japonais, les marionnettes sri lankaises et autres masques orientaux.

"Je ne suis pas la seule, confiait la créatrice au magazine Le Nouvel Observateur. L’Asie et l’art de la marionnette ont toujours inspiré beaucoup de dramaturges, comme Brecht. Tambours sur la digue raconte aussi l’histoire d’une certaine exigence théâtrale. Les marionnettes ont toujours été les maîtres de l’acteur, partout où l’art de l’acteur est tenu en aussi grande estime que la dramaturgie."

L’Histoire traverse le parcours dramatique du Soleil. Depuis sa fondation, en 1964, la compagnie parisienne a conçu pas moins de 23 spectacles et cinq films dont les thèmes gravitent presque toujours autour de l’Histoire ancienne ou contemporaine: les Grecs avec la famille des Atrides; les pièces historiques de Shakespeare avec la trilogie Richard II, La Nuit des rois et Henry IV; la Révolution française avec 1789 et 1793; Molière avec le film éponyme réalisé en 1977 avec Philippe Caubère dans le rôle du célèbre auteur dramatique; ou finalement le génocide au Cambodge avec L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge.

C’est d’ailleurs avec cette création qu’a débuté, en 1985, la précieuse collaboration entre Ariane Mnouchkine et l’écrivaine et universitaire Hélène Cixous. Outre L’Histoire terrible mais inachevée, Hélène Cixous a écrit L’Indiade ou l’Inde dans leurs rêves (1987-1988); La Ville parjure ou le Réveil des Érinyes (1994); Et soudain des nuits d’éveil, en collectif avec la troupe (1997-1999).

Auparavant, Mnouchkine favorisait surtout la création collective, dans l’esprit de vie de troupe et de coopérative théâtrale; des idées à la base du Théâtre du Soleil et qui font la marque de leurs spectacles. (Une soirée avec les artistes du Soleil se fait dans la convivialité; les spectateurs sont invités à se rendre bien avant le lever du rideau au théâtre, et il y a toujours à boire et à manger.)

"La dimension collective fait partie de tous mes spectacles, expliquait Ariane Mnouchkine dans des entretiens accordés à la revue Projet 1. Tambours sur la digue est signé Hélène Cixous mais elle l’a fait beaucoup évoluer quand j’ai proposé d’utiliser des marionnettes. Ce qu’elle avait écrit restait la base de la fable, mais des pans entiers devaient tomber: les marionnettes ont besoin de très peu de mots. Le théâtre est toujours une oeuvre collective."

À l’occasion de la venue du Théâtre du Soleil à Montréal, le département de théâtre de l’Université du Québec à Montréal organise une rencontre avec Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil. Le jeudi 31 mai, à 12 h 30, à la salle Marie-Gérin-Lajoie du pavillon Judith-Jasmin de l’UQAM. Entrée libre, mais il faut réserver ses places au 987-3456.

Du 24 mai au 2 juin à 19 h 30
Aréna de Lachine
1925, rue Saint-Antoine, Lachine