FTA – Catoblépas : Bête de scène
Scène

FTA – Catoblépas : Bête de scène

Après sa création au Centre national des Arts en mai, Catoblébas, la première pièce de GAÉTAN SOUCY, mise en scène par DENIS MARLEAU, sera présentée ce week-end au Festival de Théâtre des Amériques.

Lorsqu’il entend le mot, Denis Marleau fait presque la moue. "Le protagoniste s’appelle Robert, prévient-il, la pièce aurait pu porter son nom." Pourtant l’auteur, Gaëtan Soucy, a retenu ce titre excentrique évoquant une créature mythologique: Catoblépas. Il faut dire que le romancier s’y connaît dans l’art d’attiser dès les premiers mots la curiosité, lui dont on n’est pas prêt d’oublier La petite fille qui aimait trop les allumettes – "sans doute le roman phare de ces vingt dernières années", écrivait François Busnel dans le Magazine littéraire. C’est d’ailleurs ce roman qui a fait naître l’intérêt irrévocable de Marleau. Il en parle comme d’un "vrai coup de coeur", évoquant la nuit passée à lire l’oeuvre avec jubilation: "Que ça soit ou non du théâtre, j’avais envie de faire quelque chose avec ça."

Et le contact avec Soucy fut rapide, plus rapide et déterminant que prévu. Le metteur en scène s’est vite retrouvé avec une création théâtrale, une histoire pourtant "assez ahurissante" dans ce qu’elle a de romanesque. "La pièce appartient totalement à l’univers de Soucy, dit Marleau, elle comporte les mêmes obsessions, les mêmes récurrences." On retrouve ainsi le personnage d’Alice (Annick Bergeron) qui, depuis 20 ans, cherche obstinément son fils. Sur son chemin, elle rencontre la religieuse (Ginette Morin) qui a pris soin de l’enfant depuis son tout jeune âge. Les deux femmes dresseront le portrait de cet être adoré et absent, rencontre de deux figures féminines dans toute leur démesure.

Denis Marleau ne s’explique guère l’étrange parenté de Catoblépas avec Le petit Köchel de Chaurette, qu’il a monté récemment. Il retrace plutôt l’étrange "correspondance" entre ces oeuvres, toutes deux consacrées à cerner la relation maternelle envers un monstre: "Chez Soucy, malgré la simplicité apparente, il y a la même complexité interne que chez Chaurette, si bien qu’on sait qu’il y a toujours quelque chose qui nous échappe." Pourtant, le metteur en scène s’empresse d’ajouter que chaque pièce est unique, et qu’il se plaît, dans chacune, à "voir ce qui la distingue, ce qui la rend unique, ce qui la fait autonome". "J’endosse une écriture", affirme-t-il, parlant dans le cas de Soucy d’une "langue fabuleuse", d’une "approche langagière complètement différente".

Sensible à un tel envoûtement de l’écriture, Denis Marleau a entrepris l’aventure raisonnée et heureuse de monter "une pièce qui parle de notre monde, de notre histoire humaine, aujourd’hui". Monter une pièce? "Je dirais plutôt démonter une oeuvre, et la remonter, comme un jouet." Le parallèle porte loin. "Casser, briser, déconstruire, tout cela fait partie du processus de création." Casser les habitudes, briser les mentalités et les évidences. Travailler pour le texte, pas pour les acteurs, souligne Marleau. "Vous savez, le metteur en scène est responsable du temps, c’est l’horloge du processus."

D’aucuns diront qu’il s’agit d’une pratique bien cérébrale, mais Marleau n’a pas l’intention de ressembler à ce catoblépas qui traîne son crâne en le roulant autour de lui. Sa probité et sa rigueur ne sont pas exemptes de plaisir ni de partage. Il souhaite avant tout pénétrer cet univers avec le spectateur, le "découvrir avec trois cents paires d’yeux". Dans le même souffle, le metteur en scène parle de création concrète, de souci du détail et fait l’éloge de la "magnifique fragilité du théâtre" dont "l’extrême force et puissance vient de son rapport à l’immédiat, de sa transparence". Pour lui, le théâtre est ce "lieu où pour éprouver la respiration, celle de l’acteur par le spectateur, celle du spectateur par l’acteur." Théâtre vivant, donc, toujours à refaire pour "donner à voir et à entendre".

Cet enthousiasme se propage d’ailleurs aux nouvelles fonctions de Denis Marleau, celles de directeur artistique du théâtre français du Centre National des Arts, titre qu’il accepte par désir et par connivence, avec le "risque d’étonner". Aussi vante-t-il ses autres "coups de coeur" que sont Ducharme, Pierre Perrault ou Alessandro Barrico. Façon également de tendre la main à des collègues comme Brassard, Pintal, Lepage, Mouawad et Girard, et à des collaborateurs comme l’Espace Go, la Veillée et le Quat’Sous. Ce choix éclectique, à son image, il le dit fait de gravité autant que de fantaisie, d’évasion et de jeu comme de fraternité et de réflexion. Toujours le théâtre, puisque "vous ne pourrez jamais empêcher le désir de quelqu’un de prendre la parole." Théâtre de coeur, en somme, autant que théâtre de tête.

Peut-être en est-il ainsi du catoblépas, monstre humain comme le temps, la création, la parole, le théâtre… "Titre métaphorique, convient Marleau, qui caractérise non seulement Robert, mais ses deux figures maternelles, le monstre qui habite en elles, et nous habite tous."

Du 2 au 5 juin
Au Théâtre d’Aujourd’hui