FTA – Lorraine Pintal : Le paradoxe Ducharme
Scène

FTA – Lorraine Pintal : Le paradoxe Ducharme

Comme la majorité des mortels, Lorraine Pintal n’a jamais eu la chance de rencontrer Réjean Ducharme. Mais sa feuille de route en fait foi, elle se sent des affinités particulières avec le discret auteur.

Comme la majorité des mortels, Lorraine Pintal n’a jamais eu la chance de rencontrer Réjean Ducharme. Mais sa feuille de route en fait foi, elle se sent des affinités particulières avec le discret auteur.

"C’est difficile à expliquer, estime la metteure en scène. En fait, c’est une langue que je ressens de l’intérieur. Il y a là quelque chose qui me touche, par exemple la quête amoureuse. Le grand thème de Ducharme, c’est: aimez-moi. Il veut être aimé, l’amour est la quête ultime de ses personnages. Pour moi, l’amour n’est pas quelque chose de résolu. C’est une notion que je n’arrive pas à saisir. Et Ducharme ne m’aide pas à mieux la comprendre par la tête, mais par le coeur. Je ne sais pas pourquoi, mais on a l’impression d’être un meilleur être humain quand on sort de l’univers de Ducharme. Alors j’ai un rapport plus charnel qu’intellectuel avec son oeuvre. C’est un rapport amoureux."

Onze ans après avoir monté HA ha!, dix ans après Ines Pérée et Inat Tendu, la directrice du Théâtre du Nouveau Monde porte à la scène un troisième Ducharme: l’adaptation de son roman L’Hiver de force. Et même si la mise au monde a lieu dans le cadre prestigieux du FTA, Pintal y voit une "première étape de création importante" du spectacle qui s’insérera dans la 50e saison du TNM, l’automne prochain, et "qui va être en mouvement jusqu’à la fin".

"J’ai l’impression de boucler une boucle, parce que HA ha! a été ma première mise en scène au TNM, dit Lorraine Pintal. Il y a des bilans qui vont se faire. Pour moi, c’est un moment important. Ce cycle-là fait partie d’une étape capitale dans ma vie." Elle a donc tenu à s’entourer de concepteurs qui ont accompagné sa démarche depuis le début, tels Danièle Lévesque, Michel Beaulieu. Et Marie Tifo, flanquée ici d’une distribution quatre étoiles: Anne-Marie Cadieux, Pierre Curzi, Monique Mercure, Brigitte Lafleur, ainsi qu’Alexis Martin et Céline Bonnier, qui incarnent le couple siamois d’André et Nicole Ferron.

Il aura fallu trois années à Pintal pour convaincre l’auteur de L’Hiver de force de lui céder les droits du roman. Ducharme a fini par accepter devant la ténacité de l’infatigable directrice du TNM, même s’il disait ne pas voir ce qu’ajouterait son oeuvre à la flopée de pièces existantes. La metteure en scène, elle, qui a toujours continué à travailler sur sa "mise en forme" du roman, n’a pas de doute sur la pertinence de monter ce texte publié en 1973, dans la coulée de la Révolution tranquille.

"C’est l’époque pré-référendaire, moment où il y avait encore possibilité de trouver une identité à ce peuple errant que nous sommes. Les personnages essaient de s’évader dans le rêve pour donner un sens à leur vie. Et le seul moyen que trouvent André et Nicole pour tenter de se sortir de cette errance politique, c’est d’aller vers le vide existentiel. Je considère qu’on est encore très plongés dans cette errance, et que le regard que Ducharme portait sur la politique à l’époque est encore très pertinent. Il ne propose aucune solution. Mais il pose de bonnes questions."

Retranchés dans leur "foyer de résistance" de l’avenue Esplanade, ces enfants blessés que sont André et Nicole rêvent éveillés devant la télé, "complètement coupés du monde". Selon Lorraine Pintal, ces "solitudes habitables" dépeintes par Ducharme n’ont jamais été aussi vraies que maintenant. "On se dit solidaires de mouvements collectifs, mais chacun vit dans son petit monde, et c’est beaucoup ce qu’il dénonce. Et ces blessures intimes que nous avons tous. Quand on crée des brèches dans la façade, on voit l’humain qui a peur, qui questionne Dieu, l’existence, l’amour, la mort. De très grands thèmes qui confèrent à l’oeuvre de Ducharme un caractère tragique. Pour moi, André et Nicole ne sont pas loin d’Électre et Oreste. Ce sont des êtres qui ne sont pas armés pour affronter la vie. Mais en même temps, ils nous donnent le goût de vivre. Ça, c’est le paradoxe de Ducharme."

Du 1er au 4 juin
Au Théâtre du Nouveau Monde