Tambours sur la digue : Passages nuageux
Scène

Tambours sur la digue : Passages nuageux

Chers lecteurs, j’ai une terrible confession à vous faire: je me suis ennuyé pendant un spectacle du Théâtre du  Soleil!!!

Chers lecteurs, j’ai une terrible confession à vous faire: je me suis ennuyé pendant un spectacle du Théâtre du Soleil!!!

Je sais, pour certains de mes pairs, je devrais peut-être déchirer ma carte de membre de l’Association des critiques de théâtre. Ou encore m’exiler dans un bled inculte et me taper, jusqu’à plus soif, des insipides productions hollywoodiennes. Car pour des puristes, un spectateur qui s’ennuie devant un chef-d’oeuvre est pareil au chauffeur de taxi qui s’endort au volant.

Tant pis, j’aurai au moins le mérite d’être honnête. Pour moi, la dernière mise en scène d’Ariane Mnouchkine est d’une grande beauté visuelle, d’une étonnante maîtrise formelle, d’une vitale poésie, mais elle reste au service d’un texte assez faible, signé Hélène Cixous, qui raconte une histoire naïve, manichéenne, très répétitive et franchement emmerdante.

La prémisse de Tambours sur la digue est les inondations tragiques survenues en Chine en 1998. Hélène Cixous (l’auteure maison du Soleil depuis 15 ans quand la troupe ne puise pas dans des oeuvres du répertoire) a écrit une fable politique et une légende orientale nous montrant un seigneur asiatique, au début du Moyen Âge, qui, devant l’inévitable débordement du fleuve de son royaume menaçant d’inonder la ville et ses commerces, décide de détourner la crue vers les champs des paysans. Nous assistons donc à la chronique d’une tragédie annoncée, avec toutes les tractations et les trahisons qui en découlent. Mais le texte n’en finit plus de nous exposer, d",un côté, les sombres motivations des méchants et, de l’autre la grandeur d’âme des bons.

À la base, Tambours sur la digue, dont le sous-titre est Sous forme de pièce ancienne jouée par des acteurs, est propulsé par une idée géniale: les protagonistes (masqués et en costumes d’époque) sont comme des marionnettes humaines manipulées, du début à la fin, par des acteurs masqués et tout de noir vêtus. Le vaste décor dans lequel se meuvent les membres du Théâtre du Soleil devient alors un gigantesque castelet représentant le théâtre des dérives du pouvoir, avec leurs conséquences sur l’humanité. La fable peut donc se lire à la lumière de l’actualité.

Toutefois, la manipulation des personnages illustre autant le despotisme des dirigeants que la stylisation de l’art du jeu, ces hommes et ces femmes qui sortent de l’ombre pour faire surgir la lumière de la poésie. Les entrées et les sorties des protagonistes, poussés par les manipulateurs, sont de purs moments de bonheur. La musique de Jean-Jacques Lemêtre, qui commente continuellement l’action, est magnifique. Le décor de Guy-Claude François reproduit dans l’immense espace de l’Aréna de Lachine est tout aussi splendide.

Avec le temps et les moyens pour le faire, Ariane Mnouchkine atteint des sommets de rigueur et de grandeur dans sa mise en scène. La dernière image, celle qui montre le maître de marionnettes traversant les terres inondées pour repêcher ses poupées à l’effigie des protagonistes, résume à elle seule toute la magie et la poésie du théâtre.

Or voilà: cette scène arrive après plus de trois heures trente de spectacle. La metteure en scène avoue avoir déjà fait de nombreuses coupes dans le texte… Peut-être qu’un théâtre aussi épuré et stylisé que celui du Soleil n’a justement plus besoin de mots pour exprimer sa force et sa magie.

Au Festival de Théâtre des Amériques
Du 30 mai au 3 juin
Aréna de Lachine