Cul sec : Sexe, mensonges et vidéo
Cul sec laisse un goût âcre dans la bouche. Crue, violente, vulgaire et désespérée, cette pièce de François Archambault irrite autant qu’elle captive.
Crue, violente et désespérée, Cul sec laisse un goût âcre dans la bouche. Cette pièce de François Archambault irrite autant qu’elle captive. Car, à travers la nuit d’enfer de jeunes accros (au cul, à l’alcool et aux plaisirs), elle dépeint l’immense vide d’une société, handicapée autant du coeur que de l’âme, dont l’unique valeur est la consommation (de biens, de chair et de fantasmes).
Créée en 1995, par René Richard Cyr et le Théâtre Petit à Petit (PàP), Cul sec n’avait pas fait l’unanimité à l’époque. En misant sur une description hyperréaliste, sans psychologie ni action dramatique, François Archambault a commis quelques maladresses avec cette oeuvre de jeunesse. L’auteur semble se complaire dans la médiocrité intellectuelle et sentimentale de ses personnages. Il manque de recul, voire de regard critique, envers son sujet.
Six ans plus tard, le Théâtre En Marge présente à La Balustrade du Monument-National une reprise fort intéressante de Cul sec, dirigée par Patriq Chénier, avec une solide distribution de jeunes comédiens. À l’heure où la formule télévisuelle des reality shows fait un tabac en Europe et en Amérique du Nord, cette pièce (qui expose une tranche assez indigeste de la vie) prend ici un nouveau sens. En effet, ce théâtre s’inscrit dans la lignée des Loft Story, Big Brother et autres Lofters, dont le seul mérite est de nous faire miroiter que le 21e siècle sera l’âge d’or du narcissisme…
Très je-me-moi, les personnages amoraux de Cul sec – tous dans la vingtaine – sont fermés à la différence (sociale, sexuelle ou culturelle). Serge, Éric et les autres (sauf peut-être Michel) ne sont pas des êtres animés par des émotions: ils sont des machines qui baisent, boivent, sniffent… Ils ne se défoncent pas en réaction au puritanisme de leurs parents, ou pour masquer leur mal de vivre; ils se défoncent pour rien. Ils vivent dans l’urgence, mais sans but ni idéal, et encore moins de rêve.
L’absence de valeurs sur laquelle ces jeunes ont fondé leur existence est d’autant plus révoltante qu’elle ne provoque aucune prise de conscience. Les gars sont racistes, misogynes et ouvertement homophobes. Les filles sont vulgaires, désabusées et très profiteuses. Mais personne ne réagit à la haine et au mépris des uns et des autres. Cul sec est le cul-de-sac d’une génération gavée par la société de consommation, où tout s’achète et se vend… même les sentiments.
Pour sa première mise en scène professionnelle, Patriq Chénier a bien mené cette production, en coupant un peu dans le texte et en ajoutant un entracte. Le décor de la salle intime de La Balustrade joue avec le côté voyeur de la pièce. Le public, collé sur la scène représentant le salon de Serge (Luc Chapdelaine), peut aussi observer à travers une grande fenêtre la nuit tomber sur le centre-ville. L’utilisation (un peu trop discrète) de la vidéo, qui diffuse des extraits de la représentation, amplifie le côté "reality show théâtral".
La direction d’acteurs est assez bonne. Luc Chapdelaine (qui a défendu Yves dans Being at Home with Claude, l’automne dernier, à l’Espace Go) est une nature, comme on dit. Son jeu me semblait toutefois un peu figé par moments. Daniel Thomas (Deux Frères), que je voyais pour la première fois sur scène, incarne avec force Éric, ce macho devant l’Éternel. Par contraste, Danny Gagné, qui joue Michel, le plus straight du trio masculin, est juste assez sensible et candide. Chez les actrices, Julie Belley, Marie-Josée Lavoie et Nathalie Briard, s’en tirent toutes très bien.
Voilà donc une production qui, sans grands moyens, nous propose du théâtre de qualité et très pertinent.
Les 21, 22 et 23 juin
À La Balustrade du Monument-National